Cognon S., Médiateur Santé Pair

Médiateur Santé Pair

Un passeur entre deux mondes

Stéphane Cognon

Bien des choses sont dites ou écrites à propos des médiateurs de santé pairs, Stéphane Cognon nous raconte le parcours qui l’a conduit à le devenir. Trouver sa juste place dans les équipes ne va pas de soi.  

« Chez le médecin du travail

Le médecin : Pair-aidant, c’est quoi cette profession ?

J’explique.

Le médecin : Et vous êtes suivi par un psy ? Un vrai j’entends ! (Petit sourire du praticien qui veut s’en payer une bonne tranche).

Le médecin : Et votre pathologie ?

Moi : Schizophrénie

Le médecin : ça se soigne ça ? »

En 2017, j’avais présenté le premier ouvrage de Stéphane Cognon. A travers une succession de tableaux courts, l’auteur nous montrait comment il avait pu traverser la schizophrénie, recouvrer son équilibre et fonder une famille. Un témoignage optimiste et rempli d’humour. J’avais écrit que par sa brièveté, ses punch line, sa justesse il constituait un extraordinaire outil d’éducation thérapeutique et de psychoéducation.  « Les 20 chapitres courts permettront à ceux qui souffrent de troubles de la mémoire, de l’attention et des fonctions exécutives de cheminer sans trop décrocher. Ce témoignage d’un pair leur parlera un langage qu’aucun soignant ne saurait tenir. » (Friard-cognon (santementale.fr)) J’étais alors loin de penser que ce « Je reviens d’un long voyage » ou « Candide au pays de la schizophrénie » publié par les éditions Frison Roche serait suivi d’un deuxième ouvrage, d’un deuxième voyage où l’auteur raconterait, à sa façon, son parcours de Médiateur Santé Pair. Candide ne l’est plus. Il est retourné à l’école, s’est assis sur les bans de l’université et a préparé une licence de Médiateur de Santé Pair.

« Vous vous servez de votre dossier médical » m’avait lancé un soignant en guise de provocation. Nous appelons cela le savoir expérientiel et ce savoir que nous avons acquis du fait de notre expérience de vie, de notre parcours de rétablissement est riche, subtil à bien des égards, mais nous ne sommes pas, nous les pairs-aidants, les seuls détenteurs de ce savoir. »

Fort du succès de ce premier livre, Stéphane se lance dans des séances de pairaidance à domicile, au sein du Collectif Schizophrénies, en suivant son intuition et ce qu’il savait par expérience de la maladie. Se pose alors la question d’en faire son métier et donc de reprendre des études, à Bobigny, Paris XIII.

(Re)prendre des études ?

Au pied de la montagne, il se remémore sa relation complexe avec l’école, « toutes ces années gâchées », ces « peut mieux faire » dans les bulletins. Il se décrit comme un enfant émotif, dissipé, ayant du mal à suivre les enseignements, mais gentil et drôle, juste en manque de confiance en soi. Chacun de nous, soignant comme soigné, au moment de reprendre des études (D.U., diplôme d’infirmier, ou d’IPA, licence de médiateur de santé pair) se pose les mêmes questions, mobilise les mêmes sensations. Stéphane s’appuie sur une expérience heureuse pour s’autoriser à sauter le pas.  Il va plus loin encore et analyse les raisons pour lesquelles il ne suivait pas en classe : « Je n’osais pas poser de questions lorsque je ne comprenais pas et ne comprenant pas, je laissais passer le cours sans assimiler les notions de base et je me dissipais, partant dans des rêveries ou faisant rire mes camarades. » Nous voyons pointer là, le savoir expérientiel de Stéphane. Pourquoi est-ce si difficile de poursuivre ses études après une décompensation ? Contre quoi une personne qui a fait une bouffée délirante doit-elle se battre au moment où elle tente de réintégrer son cursus ? Stéphane poursuit : « Pour tout nouvel apprentissage, je me mettais à participer au-delà du raisonnable, pour à la fin faire valoir ce que je savais jusqu’à le mettre en scène, ce qui faisait perdre du temps à l’enseignant et me valut, à moi comme à d’autres d’élèves, des recadrages bienveillants mais tout à fait justifiés sur nos façons d’intervenir dans un cours et sur la bonne façon d’y participer. » Chacun est différent et aborde un nouvel apprentissage d’une manière qui lui est propre. S’il n’existe pas de manière psychotique d’intégrer de nouvelles connaissances, on peut repérer quelques passages périlleux : l’attention flottante qui interdit de saisir les principes de base et complexifie la compréhension du contenu travaillé, l’enthousiasme qui fait participer au-delà du raisonnable et qui fait s’épuiser l’étudiant. La finesse de l’observation (de l’insight) de Stéphane permet à chacun de repérer comment il fonctionne en termes d’apprentissage. Un pair qui énonce : pour moi voilà comment ça s’est passé. A ce type de phrase, on ne peut que répondre : ben pour moi c’est plutôt comme si que comme ça. Il apparaît difficile d’animer un groupe d’Education thérapeutique sans prendre en compte la façon dont chaque usager intègre l’information.

Il commence donc par un diplôme universitaire sur le rétablissement en santé mentale ouverts aux soignants de tous bords. En parallèle, il s’inscrit en licence Médiateur de Santé Pair (Licence Science Sanitaire et Sociale, option Médiateur Santé Pair). Le cursus dure un an, en alternance avec un poste, avec une semaine de cours et trois semaines de travail.

L’autre originalité de Stéphane est qu’il travaille depuis vingt ans dans le BTP. Médiateur de Santé Pair relève d’un choix de vie, de carrière et non pas d’une tentative d’insertion en désespoir de cause. Au moment, où il s’inscrit dans ces parcours universitaires, il est inséré. « Il fallait que j’en parle au directeur de l’entreprise dans laquelle j’ai travaillé plus de 20 ans. Je lui demandais une année sabbatique, histoire d’avoir une solution de repli. Celle-ci me fut accordée mais je savais au fond que je ne reviendrais pas … un vrai changement, un nouveau challenge à 50 ans. »

En quoi consiste le travail de médiateur de santé pair ?

Stéphane en donne quelques exemples intéressants.

Dans le cadre de son cursus, il est amené à visiter différentes structures de soin. Il est ainsi accueilli par le psychiatre d’un des services qui l’invite à assister à une de ses consultations. A chaque nouveau patient, Stéphane est briefé sur la personne qu’ils se préparent à accueillir. A son arrivée, il se présente et demande l’autorisation d’assister à la séance. Il n’y a aucun refus. Après la séance le psy débriefe. « Il était brillant, concis, précis. J’écoutais, un peu impressionné, me demandant un peu ce que je faisais là et surtout ce que je pourrais apporter à ce médecin si compétent. » Puis vint une petite dame « charmante, touchante, qui mettait toutes les chances de son côté pour son rétablissement. En tout cas c’était l’impression qu’elle donnait. Elle aimait l’art. Elle avait suivi les cours de l’école du Louvre, mais la surenchère de la compétition l’avait dégoûtée. Elle s’accrochait pourtant malgré les symptômes, elle allait aux expositions, lisait des magazines, mais rien n’y faisait. Elle racontait au médecin : « Vous vous rendez compte docteur, quand je vais au cinéma le soir, je m’endors ». Le médecin consulta sur le dossier de la patiente : « peut-être pourrions-nous baisser le traitement du soir ou retarder la prise … » Je me permis de poser une question à cette dame : « excusez-moi, mais quel genre de film allez-vous voir ? » Elle me répondait sans malice : « un film ukrainien sous-titré ». Nous partîmes dans un fou rire partagé et libérateur. « C’est peut-être pour cela que vous vous endormez ! » » L’ambiance de l’entretien s’en trouva changée. Stéphane note que le médecin se fit moins démonstratif et que de son côté il était heureux d’avoir trouvé une place pour intervenir avec bienveillance et empathie en passant par-dessus les signes cliniques.

Est-ce cela le rôle du médiateur de santé pair ? Son savoir expérientiel est-il mobilisé dans cette situation ? De quelle façon ?

Stéphane poursuit. Il arrive en intra-hospitalier, en secteur fermé, « appelé désormais protégé ». Un jour, il est donc dans le bureau avec deux infirmières, la porte fermée. « Derrière le hublot de la porte, un jeune homme passa la tête, partit, revint, réclamant son « si besoin », un médicament donné en cas de besoin comme son nom l’indique et destiné à calmer les angoisses.  

L’infirmière me confia que le jeune homme invoquait une intoxication, depuis qu’il avait pris une cigarette tôt le matin à jeun. Las ! Elle le fit entrer, lui demanda de s’asseoir et lui expliqua calmement : « Le médecin vous l’a dit, ce sont les symptômes de la maladie, cette cigarette n’était pas empoisonnée ! » Là également, je me permets d’intervenir, parlant de mon expérience d’ancien fumeur. Certaines cigarettes prises le matin à jeun peuvent faire tourner la tête, donner des haut- le-cœur, peut-être serait-il judicieux de retarder la prise de la première cigarette après le petit déjeuner. Il sembla m’écouter, ressortit du bureau des infirmiers et sembla oublier le « si besoin ». »

Est-ce cela le rôle du médiateur pair ?

Stéphane conclut : « Je n’avais rien révolutionné dans ces deux interventions, mais pour moi une piste s’ouvrait pour mon positionnement en tant que pair-aidant en formation. Un zest de bon sens, de l’empathie et une écoute en oubliant les signes cliniques qui parfois vous polarisent sur un diagnostic aux dépens d’un symptôme et surtout d’un vécu. »

Eviter de se prendre un mur

Le médiateur de santé a-t-il vocation à se substituer aux soignants et ses interventions relèvent-elles d’un soin que les soignants mobilisés par les deux situations ne savent plus proposer ? Le psychiatre rencontre son bonheur professionnel dans la classification et semble-t-il peu dans l’écoute du patient. Les expositions, les magazines constituent le contenu de l’entretien. C’est avec ce matériau-là que le psychiatre doit travailler, montrer qu’il s’intéresse authentiquement à sa patiente. Elle va voir une exposition, laquelle ? Il en a entendu parler parce qu’à partir du moment où une de ses patientes se mobilise autour des expositions il doit s’y intéresser. Elle va voir un film, lequel ? De quoi ça parle ? Qu’en-at-elle pensé ? De la reformulation de base. Comment soutenir son désir si lui-même ne s’intéresse pas à ce qu’elle fait ? Faut-il être médiateur de Santé Pair pour s’intéresser à ce que les patients disent ? Je suis convaincu que non. Stéphane, en tant que médiateur de santé pair intervient dans les failles de cette institution, dans son renoncement à s’intéresser aux personnes qu’elle accueille.

L’infirmière travaille dans un secteur protégé. Protégé de qui ? Protégé de quoi ? Elle est séparée des patients par une pièce dans laquelle elle s’enferme avec sa collègue et Stéphane. Elle fait entrer le jeune homme, elle ne l’écoute pas, elle lui explique la vie. La vie, c’est-à-dire ce que lui a expliqué le médecin.  C’est un symptôme de sa maladie ? Laquelle ? On ne sait pas. Quel symptôme ? La crainte d’être empoisonné ? Suffit-il de dire à quelqu’un que sa cigarette n’est pas empoisonnée pour qu’il soit convaincu qu’elle ne l’est pas ? C’est la base du soin en psychiatrie. Ecouter, permettre à la personne de déplier son point de vue plutôt que chercher à la convaincre. Il n’est plus un sujet mais une volonté à faire céder. Encore une fois Stéphane propose une intervention de bon sens là où le soin et l’écoute sont absents.

Le médiateur de santé pair doit-il combler les manques des formations initiales des soignants et s’il le fait n’est-ce pas au détriment de sa propre fonction de pair aidant ?

Stéphane ne cherche pas à donner de leçons au soignant, il réfléchit à sa place et à la meilleure manière de s’y tenir. Ainsi, lui dit-on un jour que les patients de l’hôpital de jour n’identifiaient clairement son rôle de pair-aidant …

« Qu’à cela ne tienne, je proposais immédiatement de les recevoir les uns après les autres et de discuter avec eux en partant d’un questionnaire structurant mon entretien.

Je leur parlais de mon métier, je les questionnais ensuite sur leur pathologie et leur parcours au sein de l’HDJ. Pour tout dire, j’avais du mal à faire une différence entre le côté thérapeutique et le côté relationnel des ateliers. Mon questionnaire était d’ailleurs plutôt intrusif et je n’y avais pas pris garde. Je le déroulais sans beaucoup d’empathie, il faut l’avouer, en ressentant de plus en plus que je n’étais plus en phase … 

Jusqu’à me prendre un mur. »

Si tout va bien, en termes de soins, il n’y a pas de différence entre le côté relationnel et thérapeutique des ateliers. Les deux dimensions s’entremêlent et si l’une manque, l’autre est absente, quasiment par définition. On peut concevoir que le médiateur de santé pair puisse, dans ce contexte, éprouver quelques difficultés à trouver sa place. Confronté à cette difficulté, Stéphane prépare un questionnaire et interroge les patients, comme le ferait un soignant. Il devient extérieur aux personnes qu’il rencontre.

« Un patient répondit aux premières phases du questionnaire mais il me regarda droit dans les yeux quand je voulus continuer sur le registre des questions touchant sa pathologie en me demandant en quoi ça me regardait ! »

Il avait raison écrit Stéphane. Cela était tout à fait son droit. « C’était d’ailleurs étonnant que les autres n’aient pas réagi de la même manière. » Le médiateur de santé pair est capable de prendre de la distance et d’analyser ses prestations.

Il ne peut remplir son rôle que si les autres professionnels remplissent le leur.

Ainsi Caroline, la coordinatrice d’ETP sur le pôle où il intervient le recadra un jour en lui disant que l’ETP n’était pas « un groupe de parole » mais un programme avec des objectifs précis pour le patient. Il fallait structurer les séances tout en y impliquant les patients. C’est une certaine conception de l’ETP qu’elle défend, la version rigide, celle qui prend le moins en compte le rythme d’apprentissage propre au patient. Les objectifs sont ceux de chaque patient, il peut donc éprouver le besoin de les modifier, traîner sur certaines notions, passer plus vite sur d’autres. Il lui est nécessaire de prendre le temps de discuter avec ses pairs, ceux-ci étant souvent beaucoup plus pertinents aux yeux des participants que les soignants. Dans cet exemple, ce n'est pas tant Caroline qui est en cause que la pression technocratique exercée sur les professionnels, pression qui se substitue parfois à la réflexion. D'ailleurs écrit Stéphane : " Cette collaboration fut la  première d'une longue série entre Caroline et  moi et petit à petit, notre binôme gagna en complicité, nous nous étions trouvés."

Pour prendre un autre exemple, les soignants sont souvent empêtrés dans la problématique du cannabis. Stéphane, lui, va droit au but : « de retour de mon séjour hospitalier, on m’avait déconseillé fortement de reprendre du cannabis. Ce n’était pas un lourd sacrifice, mes dernières expériences de « cannabis subi » m’avaient plutôt vacciné. Mais la prise de cannabis fait partie d’un rite de passage chez les jeunes, elle est banalisée et fréquente. Donc j’ai été régulièrement en contact au cours de soirées avec la réprobation du refus du joint qui tourne et que l’on fait suivre. Dans ces cas, j’aimais (j’aurais aimé …) avoir cette répartie à la manière d’un Obélix de la fumette et du délire : « Pas pour moi, je suis tombé dedans quand j’étais petit. » »

En guise de conclusion

Permettons au médiateur de santé pair d’effectuer son travail, c’est-à-dire non pas d’être un soignant par défaut mais un professionnel dont le savoir expérientiel est à partager avec d’autres sujets qui souffrent des mêmes maux que ceux dont il a souffert, savoir dont les soignants n’ont pas la moindre idée. Comment vivre avec des voix ? Comment se faire confiance alors que l’on a été la proie d’hallucinations visuelles ou auditives ? Comment croire ce que l’on voit ou que l’on entend ? Quand je pense que quelqu’un m’en veux de quelque chose comment faire la part des choses entre l’interprétation et la réalité ?

Il s’agit d’être au plus près de l’expérience vécue. Cette approche phénoménologique, c’est ce qui différencie le médiateur de santé pair des autres intervenants.

Merci à Stéphane de partager cette expérience, durement acquise, avec nous …

Dominique Friard

Date de dernière mise à jour : 24/11/2022

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