Les infirmiers du désordre

  • Par serpsy1
  • Le 14/01/2024 à 12:27
  • 2 commentaires

Les infirmiers du désordre

En 2010, dans Vie sociale et traitements (VST), Olivier Mans et Anne-Marie Leyreloup[1], tous deux infirmiers de secteur psychiatrique et membres du bureau de Serpsy, publiaient un article autant rageur que documenté sur l’ordre infirmier. La position de Serpsy, sur ce point n’a jamais varié : « Non à l’ordre honni ».

Proposée au mois de juin 2006 à l’Assemblée nationale, la loi n° 2006-1668 portant création d’un Ordre national des infirmiers sera adoptée le 21 décembre de la même année. Fruit d’un lobbying soutenu, la commande faite au législateur n’est issue que d’une minorité d’associations d’infirmiers (une quarantaine sur les deux cents et plus que comptent la profession et quatre syndicats de libéraux).

Les premières élections soulignent cet état de fait. C’est un véritable fiasco. Seulement 20 % des infirmières libérales et 10 % des salariées prennent part au vote ![2] Malgré ce rejet, l’absence d’engouement, un manque de confiance patent, la profession d’infirmier est tout de même placée sous tutelle, sous la coupe d’un ordre professionnel qui va défendre son honneur et son indépendance (sic) et qui va être le garant de la qualité de ses pratiques !

Sur un terrain déjà peu propice à la discussion, les promoteurs de l’oni, pratiquement autoproclamés dirigeants, font encore bonne preuve de tact en exigeant de chacun des membres de leurs troupes, soit 510 000 volontaires désignés d’office, la modique somme de 75 euros comme autorisation à exercer. « Nous refusons de payer pour travailler », ce slogan se met vite à gronder dans tous les lieux de soin, jusqu’à résonner aux portes des plus grandes instances de la nation. Trois ans après la proposition de loi, le désaveu s’amplifie. Il se traduit par un refus quasi général d’inscription, en particulier chez les professionnels salariés où la fronde s’installe. Certains élus politiques, membres des conseils d’administration des hôpitaux, n’hésitent plus à le dire, l’Ordre national des infirmiers a davantage créé du désordre et de la division qu’uni la profession[1][1]http://www.serpsy.org/actualites_2010/c0910033.pdf.

4Contrairement à ce que ses partisans aimeraient faire passer, un ordre professionnel est une survivance d’un passé révolu, à l’héritage lourd, sombre car antisémite, xénophobe. Le contrôle de l’accès à une profession et sa régulation doivent rester de la compétence de l’État. Les dérives sont clairement possibles si ce contrôle est laissé à des officines privées…

Le Code de déontologie fait partie du Code de la santé. L’oni, un sigle décidément bien trouvé, travaille, en ce moment, à le modifier. Les seuls changements de virgule et autres petits rajouts démontrent avec quel sérieux la réflexion est menée. À noter, la notion de dévouement chinée dans le Code des médecins, alors que les infirmiers ont passé des années à s’en défaire. D’autres en lien avec la bonne moralité digne des ordres religieux du début de siècle dernier, ou même de celui d’avant. Manqueraient peut-être celles de famille et pourquoi pas de patrie… ?

Les lois de notre République n’étant visiblement pas suffisantes, malgré l’existence d’instances dans le privé et dans le public, l’oni devient « aussi », compétent en termes de sanctions disciplinaires. Juger ne lui suffit pas, il veut encore punir. Punir plus en infligeant une double peine se rajoutant à ce que prévoit la loi française ou européenne.

Attention à ne pas sortir du rang, du sillon qui est en train de se tracer. Des chambres disciplinaires, véritables tribunaux d’exception mis en place dans l’allégresse et la jouissance, serviront d’ici peu à alimenter la politique de la peur qui s’immisce actuellement jusqu’au cœur du soin. Quel infirmier ose dire aujourd’hui combien il se sent mal dans ce qu’il fait, ce qu’il est ? Torturé par l’idée d’avoir à passer plus de temps à prouver ce qu’il fait qu’à exercer l’art de soigner auprès de cet autre lui-même souffrant. Torturé par l’idée, l’ambiance de faute, d’erreur, imposée au soin par la technocratie sous couvert de la recherche de qualité, du risque zéro, de l’asepsie généralisée. Moins d’arguments auraient suffi pour nourrir la fronde.

Les Désobéissantes [2][2]http://www.contrordreinfirmier.org/, un collectif d’insoumises, est né ! La revendication est simple et sans appel, elle rassemble toutes celles et ceux qui refusent l’inscription à l’Ordre national infirmier. Ce charivari arrive aux oreilles des députés, quelques-uns le suivent et demandent la révision ou l’abrogation de la loi. La présidente de l’oni, auditionnée par la Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale le 23 mars 2010, montre à quel point elle méprise une partie de ceux qu’elle est censée représenter. Elle est souvent reprise par les députés, étonnés, certains lui demandant d’ailleurs comment l’Ordre peut envisager l’avenir alors que seuls 10 % des infirmiers ont payé leur cotisation.

Dans son premier bulletin officiel, l’oni propose paradoxalement de refonder l’exercice infirmier en psychiatrie. Séduction ou provocation de la part de ceux qui dans les années 1990, lorsqu’ils militaient au cefiec (Comité d’entente des formations infirmières et cadres) et à la Fédération nationale des infirmières, exerçaient déjà leur lobbying ministériel pour que les isp, les infirmiers de secteur psychiatrique, n’accèdent pas de droit au diplôme unique. Les mêmes qui se classaient du côté pur de la blanche asepsie, encore elle, comme seuls et vrais infirmiers. Les mêmes qui renvoyaient les « psys » du côté obscur, mal rasés, fumeurs et buveurs de café, interdits car incapables de haute technicité. Séduction ou provocation lorsque la première proposition, la première décision divine, est de reconnaître les infirmiers de secteur psychiatrique à l’égal des infirmiers diplômés d’État. S’appuyant sur le rapport de synthèse [3][3]http://www.ordre-infirmiers.fr/wpcontent/themes/… Psychiatrie et santé mentale, enjeux et perspectives pour les pratiques infirmières, cette refonte de l’exercice isp a la même tonalité que le chant des sirènes.

Un chant inoffensif pour celles et ceux, infirmières et infirmiers de secteur psychiatrique, car avant tout psychistes, et donc devenus maîtres de ce qui fait science et art de l’écoute et de l’écho.

Un chant inoffensif pour celles et ceux, infirmières et infirmiers de secteur psychiatrique, préférant le désordre structuré à l’ordre, le surréalisme au pragmatisme, le désaliénisme à la contrainte.

Olivier Mans, Anne-Marie Leyreloup, 2010.

Mis en ligne sur Cairn.info le 06/09/2010


[1] Fondatrice et présidente de l’association Serpsy pendant vingt ans, elle fut également la webmasteresse du site serpsy.org.

[2] Depuis l’ordre infirmier ne communique plus sur le taux de participation aux élections de l’ordre. Les seuls chiffres fournis sont ceux de la participation des élus départementaux aux élections régionales puis nationales. Mais, même là, alors que l’on peut se dire que ces élus, sont intéressés, mobilisés par l’ordre, la participation a du mal à dépasser les 80 %.

 
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Commentaires

  • dgc
    • 1. dgc Le 14/09/2024
    En tant qu'infirmier, je comprends certaines des inquiétudes soulevées dans l'article. Je pense qu'à la base, l'idée de rassembler et de structurer notre profession dans le domaine des soins infirmiers peut avoir du sens, mais la manière dont cela a été mis en place a laissé de nombreux collègues perplexes. Le fait que peu d'infirmiers aient participé aux élections montre bien qu'il y a un fossé entre les attentes de la profession et ce qu'on nous propose.

    Cela dit, je pense qu'il est important de maintenir un dialogue ouvert et constructif pour améliorer la situation.
    • serpsy1
      • serpsy1Le 18/09/2024
      Bonjour, Un grand merci pour votre retour. Il y avait eu des propositions alternatives à l'ordre, à l'époque : par exemple quelque chose inspiré par le Conseil Supérieur de la Magistrature. Votre adresse est ".be", savez-vous comment cela se passe en Belgique ? Cordialement, Dominique Friard

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