Des liens qui soignent
Des liens qui soignent
Nous avons choisi de débattre avec vous sur la question des liens de contention, les entraves, sujet qui a fait débat entre nous, même si ce n’est pas une pratique courante. La première utilisation de ce procédé a suffi pour que nous envisagions en équipe une réflexion sur le sujet puis l’élaboration d’un dispositif concernant les indications, la prescription et la surveillance de contention.
Le service dans lequel nous travaillons, situé aux urgences générales, nous amène parfois à nous confronter à des situations de violence ou d’agressivité importantes. Les patients arrivent accompagnés de leur famille ou entourage, eux-mêmes débordés par l’insensé du comportement de leur proche, ou par la police et les pompiers.
Quelles sont ces situations qui amènent le médecin à prescrire en accord avec l’équipe soignante, la pose de liens de contention, sachant que cette modalité reste exceptionnelle ? En effet, elle est effectuée lorsque l’équipe a épuisé ses possibilités et capacités d’accueil, voire de contenance de la crise qui agite le patient, et que les mots deviennent des « coquilles vides ». Elle se trouve psychiquement dans le même état que lui, mais en « négatif » (effet projectif), dans une forme d’impuissance, de dénuement, « barrée » dans sa fonction soignante, comme a pu l’être l’entourage avec le patient, mais également le patient confronté à sa propre pulsionnalité.
Pour autant peut-on postuler qu’il n’y a pas de sa part demande de soin et de protection ?
La mise sous liens de contention est donc actée dans les cas suivants :
- Des patients sous toxiques, ou très alcoolisés, agités, opposants aux soins, qui ont tendance à se mettre en danger et à mettre en danger autrui, avec pour les soignants une quasi impossibilité d’entrer en lien. Le risque de fugue est important ; le patient manque de vigilance, d’équilibre, de repères. Les menaces de mort sont verbalisées à l’encontre de toute personne qui se risquerait à empêcher le patient de sortir, souvent suivies de passages à l’acte.
- Des patients en décompensation délirante aiguë, problématiques limites, retard mental, psychoses déficitaires avec intolérance à la frustration sans doute majorée du fait du lieu et du contexte des urgences. L’équipe n’est pas en mesure d’évaluer si l’agitation a des causes autres que psychiatriques ; le patient refusant tout examen somatique ou prélèvement biologique ou même scanner qui mettraient potentiellement en évidence une cause organique associée : déshydratation, diabète décompensé, tumeur cérébrale….
- Des personnes suicidaires qui regrettent que leur geste n’ait pas abouti et qui tentent de « récidiver » sur le lieu de soin (avec des draps, lames de bistouri…). Certaines essaient de partir des urgences mettant en avant leur « envie » de mourir, leur « droit » de choisir (libre-arbitre) et nous amenant à les en empêcher.
- Le lieu des urgences n’est pas très rassurant, ni structurant parfois, ni apaisant. Beaucoup de bruit, de personnes, de va et vient, de patients sur les brancards, personnes âgées qui crient, qui s’impatientent, des patients accidentés qui gémissent, des familles en demande d’informations qu’elles n’obtiennent pas toujours, ce qui fait monter la pression ; des équipes souvent débordées dont les réponses ne sont pas forcément adaptées, ni dites sur un ton suffisamment bienveillant.
Dans ce contexte-là, nous accompagnons autant que faire se peut, le patient dans notre service dans l’intention de lui offrir une présence et un espace plus sécures et apaisants. Dans certains cas, cela suffit à contenir l’angoisse et l’agressivité, dans d’autres le patient trop débordé nous amène à substituer une contention psychique, corporelle et chimiothérapique à une contention mécanique…
Guillaume va nous présenter une vignette clinique afin d'illustrer tout cela.
" Il s’agit d’une femme d’une quarantaine d’année, mariée avec des enfants, travaillant dans le domaine de la santé.
On retrouve, au niveau de ses antécédents personnels, une anorexie mentale accompagnée de conduites d’automutilations à l’adolescence, à l’âge adulte : un épisode délirant érotomaniaque et de nombreux passage à l’acte auto-agressifs (passages à l’acte toujours très médicalisés et toujours dans l’illusion d’un contrôle de la part de la patiente).
Parmi les plus marquants relatés par celle-ci, on citera :
- des mutilations (à l’aide d’une lame de bistouri) aux poignets et au pli du coude (entre autres) pour « voir mes veines » « voir mes tendons » ,
- des prélèvements sanguins répétés et parfois importants jusqu’au malaise et à l’anémie,
- une prise de diurétique jusqu’à une hypokaliémie inquiétante,
- des injections d’insulines jusqu’au malaise hypoglycémique,
-des introductions d’aiguilles notamment dans la cage thoracique, « pour atteindre le cœur ».
Tout ces « troubles » l’ont amené à être hospitalisée dans des établissements spécialisés privés et public et à consulter psychiatre et psychologue sur le Centre Médico-Psychologique et en ville. C’est d’ailleurs à l’hôpital, quelques années auparavant, qu’à eu lieu notre première rencontre.
Trois passages à l’acte auto-agressifs successifs en moins d’un mois l’ont conduite trois fois aux urgences. Les deux premiers gestes étaient espacés de moins d’une semaine.
Elle arrive donc aux urgences successivement pour :
- automutilation au pli du coude et à la hanche
- intoxication médicamenteuse volontaire
- tentative de précipitation, à peine avortée, des deuxième/troisième étage d’un établissement de santé, pour « se casser la colonne vertébrale et le bassin » .
A l’issue du 1er passage, elle sera orienté vers son psychiatre libéral, au second passage en clinique psychiatrique et enfin en Hospitalisation d’Office .
Au premier abord, le contact n’est pas mauvais, un peu étrange certes mais pas franchement psychotique. L’adhésion aux soins est plus que relative. Au fur et à mesure de l’entretien on dénote un rationalisme morbide, une froideur affective majeure et un détachement…glaçant.
Elle a déjà bénéficié de plusieurs traitements antipsychotiques qu’elle a arrêté pour plusieurs raisons « classiques » : prise de poids, ralentissement…Mais elle justifie assez longuement cette non-observance par le vide non comblé et quasi déstructurant que laisse la disparition de ses idées de se faire du mal.
En ce qui concerne son entourage familial, on notera des rapports d’emprise dans le couple avec un mari extrêmement ambivalent quant aux modalités ou même à la nécessité d’une prise en charge. Elle ne parle pas ou peu de ses enfants ( contrairement à notre première rencontre) et enfin elle évoque un père alcoolique, violent qui cassait tout à la maison quand il rentrait ivre ; la mère les cachaient elle et sa sœur pour les protéger.
Les « crises » se déroulent toujours sensiblement selon le même mode opératoire : une angoisse survient, l’idée obsédante de se faire du mal s’impose à elle et sa non réalisation décuple le mal-être, elle se détache petit à petit de son environnement, donc des autres, devient de moins en moins accessible. Une instabilité psychomotrice s ‘amorce accompagnée de stéréotypies gestuelles et posturales.
La violence initiale se nourrit de frustration, augmente au point éventuellement de changer de cible.
Cette situation s’est présentée deux fois lors de ses trois passages :
- La première fois, nous la voyons passer et repasser devant la porte du bureau d’un air soucieux. Je la retrouve devant sa chambre et lui demande ce qui ne va pas ou si elle à besoin de quelque chose, elle articule vaguement un non en guise de réponse. Je lui propose tout de même de prendre un peu de temps pour discuter, l’entretien est difficile mais la relation est tout de même possible. Elle accepte ma proposition de rencontrer le médecin du service. Elle semble s’apaiser un peu. Peu de temps après, lorsque je retourne la voir avec le psychiatre, l’angoisse est toujours présente, la tension monte, elle explose. Nous devons la contenir physiquement et chimiquement (une injection de sédatif & d’anxiolytique est réalisée). Nos paroles accompagnent tous nos gestes, elle lâche un peu à défaut de s’apaiser complètement, nous desserrons notre étreinte, le contact physique suffit, elle redevient rapidement accessible. Petit à petit tout le personnel soignant sollicité quitte sa chambre, une seule personne reste auprès d’elle pour parler un peu maintenant que le dialogue est à nouveau possible.
- La seconde fois, la décision d’une hospitalisation est prise contre son gré. Toutefois, son mari s’y oppose et dit gérer la situation, il négocie une HL auprès de sa femme. A son départ du service, et au regard des antécédents de Mme, nous redoutons un passage à l’acte et restons donc avec elle ou pas très loin. Son cas fait beaucoup réagir l’équipe, les avis différent quant au mode d’hospitalisation. Je venais à peine de sortir de sa chambre lorsqu’un bruit sourd met fin à tous les échanges. La patiente s’est emparé du téléphone de sa chambre et le cogne violemment sur le miroir pour le casser, dans l’intention de se mutiler avec. A nouveau elle est contenue par plusieurs soignants, injection, réassurance… mais cette fois ci elle ne s’apaise pas, elle reste complètement inaccessible et s’agite toujours, les liens remplacent alors nos bras (ventrale et les 4 membres), là encore des explications accompagnent nos gestes. Etonnamment elle ne résiste pas à la pose des sangles et même elle nous aide à la contenir. Très rapidement, nos collègues arrivent et elle est transférée en H.O. sur l’hôpital psychiatrique."
Les ressentis des soignants…
« La contention, c’est violent ». Elle nous renvoie à nos origines, les gardiens des fous et les chaines au temps de l’enfermement. Nous devons « faire » avec cet héritage et nos représentations qui en découlent…
La personne est seule, nous sommes plusieurs autour d’elle, il y a une forme d’intimidation. Elle a le sentiment d’être forcée, agressée, non reconnue. Elle refuse tout contact, toute tentative d’entrer en lien.
Quand il y a une décision de contention, il n’y a pas de doute dans la tête des soignants. C’est une cohésion d’équipe, la décision a été partagée, discutée, même si la temporalité est écrasée car la réponse doit être rapide (ce qui implique que les membres de l’équipe aient confiance les uns en les autres en amont, qu’il n’y ait pas de sentiment d’arbitraire -présence d’un dispositif pensé collectivement-).
Chacun son rôle, celui qui aide à contenir souvent dans un corps à corps avec le patient, celui qui va chercher les contentions, celui qui prépare la sédation. Tous ces gestes de contention sont accompagnés de paroles. Pour nous aussi, c’est très difficile sur le plan émotionnel et éthique d’entraver, d’attacher quelqu’un. En identification au patient, plus il va vivre cette procédure difficilement, plus ce sera difficile pour l’équipe. D’où l’importance de la reprise de ces situations dans l’après-coup.
Après la mise sous contention, l’infirmier reste auprès du patient. C’est souvent un retour au calme, le corps qui se relâche, la possibilité de mettre des mots. Quelquefois le patient s’apaise presque tout de suite, rassuré par quelque chose qui le contient de l’extérieur, lui qui ne peut plus rien contenir à l’intérieur ; quelquefois l’agitation est plus importante, le patient tente de retirer ses liens jusqu’à se blesser, nous crache dessus, nous insulte, notre présence est trop excitatoire, alors nous restons à proximité derrière la porte hors de sa vue mais prompts à intervenir si nécessaire et/ou à sa demande..Quand le patient s’apaise, comme il s’est agité, il transpire, l’infirmière peut s’approcher, lui proposer un verre d’eau, lui passer un gant sur le visage, le toucher pour faire contact, reprendre contact.
Ecoutons la vignette clinique de Ségolène :
"Salomé, jeune fille de 15 ans, est atteinte d'une psychose infantile avec retard mental important.
C’est son troisième passage au Cap.
Elle arrive aux urgences, accompagnée de sa maman, adressée par son médecin généraliste pour crises clastiques récurrentes au domicile avec tentative d’autolyse et menaces de mort à l’encontre de sa mère. A l’évocation de son nom, mes collègues qui l’ont déjà accueillie dans le service lors de passages précédents, commencent à « s’agiter ».
Pour ma part, c’est la première fois que je l’accueille au cap. Je ne l’ai pas encore vue, et malgré son motif d’admission, son prénom m’évoque une douce jeune fille.
Salomé arrive donc dans le service et j’aperçois alors une jeune fille bien bâtie, marchant d’un pas lourd et déterminé. Elle stoppe net, face à moi, serrant très fort ces mains l’une contre l’autre, comme une stéréotypie.
« Bonjour Salomé », elle me répond. Les présentations sont faites et l’entretien débute.
Contexte : Salomé vit chez ses parents depuis 15 jours après la levée des mesures de placement et un arrêt de l’IME. En attendant une autre orientation adaptée à sa problématique, Salomé fréquente un HDJ. Toutefois ses troubles du comportement rendent difficiles la prise en charge (intolérance à la frustration, menaces…).
Du domicile, Salomé appelle régulièrement le « 119 » enfance maltraitée, et les gendarmes.
La maman, elle dit ne plus arriver à la contenir.et signale que sa fille ne dort plus.
A l’entretien, Salomé reconnait sa violence au domicile et demande une hospitalisation en Chambre d’Isolement dans l’établissement du secteur. Il est 14h30.
Après les premiers appels, nous informons Salomé qu’il n’y a pas de place à l’hôpital et qu’en attendant elle reste avec nous.
Depuis son arrivée dans le service, elle ne tient pas en place, elle déambule et sollicite tout le monde.
Cette après-midi là, nous sommes 2 infirmiers et 1 étudiante. Au vu du comportement de Salomé nous restons tous les 3 avec elle, pour la contenir et protéger les patients du service de cette excitation.
Salomé semble contente de nous avoir tous les 3 auprès d’elle. Elle entreprend alors de rentrer dans les chambres des autres patients, se montrant très opposante pour en ressortir, tout cela avec un petit sourire.
Nous l’impliquons alors dans l’installation de sa chambre. Nous lui confions la tâche de faire son lit, avec notre aide.
Tous les moyens ludiques que notre créativité nous inspire sont bons pour maintenir son attention.
Elle y resta 5 min. la chambre préférée de Salomé, ne fût bien-sûr, pas la sienne, mais celle d’une vieille dame apragmatique.
Salomé est forte et malgré la barrière de notre corps, elle rentre dans la chambre en rigolant. La dame se met alors à crier « faites la sortir… Au secours… ».
Elle n’en ressortira qu’après proposition d’un chocolat chaud.
Le temps de préparer le chocolat, Salomé avait entrepris de déchirer les décorations du service. Je l’installe en chambre le temps de son goûter.
J’en profite pour retourner au bureau faire le point avec mes collègues sur son orientation. Il n'y a toujours pas de Chambre d'isolement disponible. La tension de Salomé devient la nôtre…
Salomé qui avait clairement exprimé son refus de rester avec nous dans le service, vient elle aussi prendre des nouvelles au bureau.
Malgré nos tentatives d’explications rassurantes, Salomé s'agite. L’attente pour elle est insupportable.
Formant un cercle contenant autour d'elle nous la raccompagnons dans sa chambre. Après décision médicale, nous lui proposons un traitement per os " pour te détendre, çà t'aidera à attendre".
Salomé refuse le traitement, et son attitude devient de plus en plus menaçante.
Il devient très difficile de la contenir, les mots n'ont plus d'impact. Sa corpulence et sa force nous mettent de plus en plus à mal.
Après rapide discussion en équipe, les médecins décident de lui administrer une sédation injectable, et de la contenir avec des liens le temps que le traitement fasse effet.
Il est 17h30. Malgré notre présence et notre disponibilité depuis 3 heures, rien n’y fait…
Nous arrivons alors dans sa chambre, nous sommes 6 (medecins et infirmiers). A notre surprise Salomé retrouve le sourire, et nous dit "vous êtes tous là pour moi ? ".
Nous lui expliquons.
Continuant dans son refus du traitement, Salomé entreprit de nous griffer, pincer, mordre, cracher pour gagner ce qui devint une épreuve de force.
Epreuve de force…oui.
Salomé se débat, cette situation est difficile pour tout le monde.
Chacun s'appuie sur le savoir faire de l'autre, pour garder comme objectif commun l'apaisement.
Et moi, infirmière pleine de bonne volonté humaniste, me voilà à injecter de force un traitement à une patiente que mon esprit silencieux compare à un animal…
Alors je lui parle, je m'adresse à elle, mes pensées la comparant à un animal se dissipent. Aidée de mes collègues je trouve les mots.
Les mots qui viennent humaniser, cette relation, la patiente et ce que nous vivons.
Ah soulagement, nous revoilà dans le soin. Cette épreuve (car éprouvante), n'a pas duré longtemps. Je me retrouve seule avec mon collègue et Salomé. Elle est attachée et sédatée. Manifestement elle nous en veut, son regard est noir, mais elle s'apaise.
Tout en la rassurant d'une voix douce, je prends soin de lui passer un gant d'eau fraiche sur le visage et la nuque.
Je lui prends la tension, le pouls.
Je me mets à l'écoute de son corps.
Je reste auprès d'elle.
Les insultes reprenant, je garde un œil sur elle du couloir, pour qu'elle puisse s'apaiser loin du mauvais objet.
Salomé se calme et semble s'endormir.
Retour auprès de mes collègues pour partager nos ressentis, et tenter de réfléchir à ce qui s'est mis en scène ici.
Je me trouve alors démunie et épuisée psychiquement bien que persuadée de l'intérêt de ce que nous venons de faire.
Raisonne en moi les premiers mots de Salomé lors de l'entretien : " Je veux aller en chambre d'isolement pour me calmer".
Au moment du repas, Salomé se réveille, peu sédatée par le traitement.
Nous enlevons les sangles des poignets.
Elle est affamée, et prend son repas dans le calme.
A la fin, elle jette son plateau au sol, et m'agrippe les cheveux, tout en manifestant son refus de rester dans le service.
Salomé est furieuse, s'agite et tente de mordre à nouveau.
Nous replaçons les contentions.
Elle continue en insultant et criant, nous lui réadministrons un traitement injectable.
Pendant ce temps, les autres patients nous attendent pour débarrasser leur repas. Ils ont besoin d'être rassurés entendant les cris de colère de Salomé.
Sa première voisine, jeune schizophréne me dit "elle est en train d'accoucher la dame… c'est un garçon c'est çà?... "
Sa deuxième voisine, elle aussi est inquiète mais pour les oreillons du petit garçon d'à coté. Je la rassure.
Contentions et traitement ont aidé Salomé à passer la nuit dans notre service. Son transfert sur l'hôpital est possible au matin après qu'elle ait pu prendre une douche et un petit déjeuner dans le calme."
Contenir, contention, contenance…
Contenir : c’est accueillir, recevoir, garder à l’intérieur de soi les projections pour transformer, métaphoriser, symboliser, élaborer, interpréter avant de restituer sous des formes beaucoup plus acceptables, plus tolérables pour le patient (la fonction alpha de la mère). Ce contenu pas encore contenu, fait d’éléments épars inquiétants car non reconnus par le patient comme lui appartenant, comme émanant de lui (élément bêta, « chose en soi »), se manifeste de façon bruyante (cris…) ou actée (auto et/ou hétéro agressivité), désocialisée, désadaptée par rapport au contexte, par rapport à la situation
Ce débordement que l’autre (le soignant en l’occurrence) repère et qui ne lui est pas adressé en propre, peut évoquer une dissociation entre le sujet et ses « objets internes », objets qui s’externalisent et lui reviennent du dehors, agressifs, persécuteurs, dangereux et dont il doit se défendre. Toutes ces manifestations qui sont du registre de l’infantile, de l’archaïque se réactualisent dans la crise, manifestent et remobilisent sans doute des carences dans les liens primaires, des mésinterprétations, des vécus « d’agonie psychique »…
Le patient n’ayant pas les moyens de se figurer ce qui l’agite, le harcèle, le persécute dans une confusion dedans/dehors est « décontenancé ».
L’état de désorganisation dans lequel il se trouve serait alors comme une tentative d’expulser ces « choses en soi » et une quête d’un contenant suffisamment solide pour contenir ce contenu hostile: l’appareil psychique du soignant et ses actes vont prendre le relai pour un temps de l’appareil psychique défaillant du patient. Ce n’est que dans l’après-coup que le processus de symbolisation, de restitution sera amorcé afin de permettre de transformer le « vécu chaotique » du patient en un « vécu d’intégration ».
Sassolas dit en se référant à Racamier, que « les patients psychotiques ne parleront notre langue, celle dont les vecteurs sont les mots, les symboles, que si nous avons au préalable accepté de parler aussi la leur, dont les vecteurs sont les actes et les choses. Nos actes et nos dispositifs seront alors des messages plus significatifs et plus parlants que nos paroles. »
Lorsque le soignant est sidéré, pris dans l’urgence de l’agir, et qu’il ne peut convoquer en lui sa fonction soignante, parce que l’identification projective est massive, parce que lui-même n’est pas étayé par l’équipe (l’enveloppe psychique groupale et institutionnelle) alors, il n’y a pas possibilité de transformation. Le soignant est habité par les « éléments béta », envahi par les projections du patient, qu’il ne reconnait pas comme telles, dépositaire à son insu de « morceaux contenant chacun une partie hostile du moi »du patient.
Le soignant est débordé, ne contient plus, il peut réagir en miroir. Cette réaction potentialise les vécus, les sensations d’une nécessité pour le patient d’un « sauve-qui-peut », de parer à l’attaque de cet environnement dangereux, persécutif.
Cette tentative du patient d’évacuer ce trop plein insensé (qui ne trouve pas de sens) est représentatif d’une identification projective dans sa forme pathologique.
La contention : serait donc un acte de soin pensé pour contenir la destructivité du sujet envers lui-même et envers l’objet.
Contenir aux Urgences en posant des liens (le lien symbolise qu’il y a de l’autre et que cet autre n’est pas un autre soi-même) signifie que l’on prend soin du patient en l’empêchant de se faire du mal, donc dans le respect de son existence et de son intégrité. Contenir, c’est aussi rappeler un interdit fondamental décrit par Freud : l’interdit de détruire l’autre.
Les liens, sont envisagés comme le berceau qui empêche le bébé de tomber, comme une limite, comme une bordure, comme un contenant possible dont le « conteneur » serait la présence, la disponibilité, les paroles, le regard, le toucher, la fonction alpha du soignant.
La contention devient alors contenance, elle est déterminée par la posture du soignant qui, parce qu’il est lui-même contenu par et dans « l’enveloppe psychique groupale » (Kaës) de l’équipe, va manifester au patient quelque chose de l’ordre d’une protection maternelle suffisamment étayante et sécurisante, une « peau psychique » (Anzieu).
Je postule que dans la crise, c’est la part psychotique, la partie la plus indifférenciée de notre personnalité qui se manifeste, ce bébé qui pleure en nous…La violence n’étant alors que l’endroit du désespoir.
Nicole Taliana, Guillaume Mazzocco, Ségolène Perroud, C.H. Montperrin
Texte présenté lors de la 1ère journée serpsy à Montperrin, en février 2011
Bibliographie
Ciccone et Ferrant in « Manuel de psychologie et de psychopathologie. Clinique générale ». Roussillon et co. Masson. 2007
R. Kaës : « Le groupe et le sujet du groupe » Dunod. 1993
D.Anzieu « Le moi-peau ». Dunod 1985
Sassolas « Les rhododendrons de la psychiatrie » in information psychiatrique n°7. 1988.
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