Martin M, Piquet J-L, Violence et soins
Violence et soins
Marylène Martin, Jean-Louis Piquet, IDE et ISP, Laragne (05)
Au Centre Hospitalier de Laragne (05), on s'est longtemps passé de chambres d'isolement. La contention y était prohibée. Une histoire de valeurs associées au soin mais également de transmission de savoir y faire. Donc de formation. Pendant des années, l'établissement a proposé des formations cliniques aux soignants portant sur l'art du contenir qui n'a rien à voir avec la coercition. Les personnels non soignants bénéficiaient également de trois jours d'approche de la psychiatrie avec stage d'un jour dans une unité de soins.
En octobre 2000, une formation intitulée " Prévenir, accompagner, gérer les situations violentes " est proposée au Centre Hospitalier de Laragne. Elle durera dix mois, à raison d'une journée par mois. Outre les apports théoriques et le repérage des différences entre agressivité et violence, nous sommes principalement amenés à nous interroger sur notre vécu professionnel, sur les manifestations de violence que nous avons pu observer dans nos unités. Violence des patients, violence des soignants, violence de l'institution.
Un jour d'Octobre, donc, à Laragne dans les Hautes-Alpes. Nous nous retrouvions à une dizaine d'infirmiers pour travailler l'accompagnement de la violence. Les participants hésitaient à se présenter, à énoncer leurs motivations. Nous étions dans le registre de la demande de recettes, du comment faire pour, du gérer. La violence ce n'était pas nous. Nous en étions les victimes. Forcément les victimes. Et puis, une voix se fit entendre. Celle de Christian.
" Moi, j'aime pas qu'on me casse les pieds. L'autre jour, il y a un abruti qui m'a fait une queue de poisson suivie d'un geste obscène. Je l'ai rattrapé au feu et je l'ai engueulé. Il n'y a pas de raison. "
Non Christian, il n'y a pas de raison d'accepter n'importe quoi. A ce que je sache la révolte est un phénomène violent et les révolutions aussi. Ceux qui ne supportent pas la violence, qui la pleurnichent, qui s'en barbouillent sont des moutons prêts à accepter n'importe quoi.
Et même la chute de tous les murs de Berlin ne saurait m'inciter à accepter n'importe quoi. C'est au nom de ce point commun que nous nous adressons à vous, que nous nous autorisons à parler de la violence. Nous sommes infirmiers et nous sommes capables d'être violents. Chacun à notre façon. Demandez à notre médecin-chef. Il ne compte pas sur nous pour taire ce qui nous importe. La clinique ne saurait se satisfaire de timides. Il faut prendre des risques et les assumer. Sans cela pas de soin, ni de réflexion sur le soin possible.
En tout cas, le parler vrai de Christian libéra le groupe et nous vîmes arriver des fantômes et toutes ces blessures jamais refermées parce que jamais élaborées. Christine nous présenta l'équipe soignante de ses débuts d'infirmière. Elle nous raconta la violence quotidienne des matons qui gardaient les patients. Elle évoqua ses tentatives pour que les patients soient simplement respectés et comment elle finit par être renvoyée. D'autres racontèrent leurs peurs, les patients perturbateurs de service qui terrorisaient les infirmières dans l'indifférence générale, les coups, les accidents de travail où l'on est seul chez soi, à ruminer ses erreurs, sa culpabilité, la sensation d'être abandonné par des chefs de service qui ne voulaient surtout rien en savoir, les infirmiers, c'est payé pour prendre des coups. Quand un infirmier est agressé, c'est du contre-transfert, quand c'est un psychiatre, c'est un passage à l'acte. Tout un monde de violence, de rancœurs, de traumatismes jamais digérés apparut et envahit toute la pièce. Il nous fallut travailler, chasser les fantômes, recoudre les plaies, cicatriser les blessures. Et pour cela, il fallait écrire, raconter, décrire le contexte, exprimer son ressenti, faire des hypothèses et faire en sorte que chaque incident rapporté enrichisse notre compréhension de la violence. La nôtre et celle des patients.
Les échanges furent nombreux et riches, les dysfonctionnements présents au quotidien nous apparaissent bien plus évidents du fait que nous étions réunis dans une salle de formation continue à distance de la routine, en réflexion, dans l'analyse des situations.
Le formateur nous demanda d'écrire et de décrire les cas évoqués succinctement lors des échanges. Il s'agissait en priorité de clinique et d'analyse autour de situations de soins. Nous nous sommes tous retrouvés devant notre feuille ou notre écran. Des textes se sont élaborés, se sont construits. Christian nous relata l'histoire de Maryse, qui ne supportait pas que les boites à miel qu'elle fabriquait à l'atelier thérapeutique de menuiserie soient vendues à une cliente. Une séparation qui ne peut s'accomplir, un deuil impossible sur le moment et c'est l'explosion. Jean-Louis, nous raconta l'histoire de l'inconnue de 19 heures, une patiente d'une autre unité qui sema la perturbation au self, au moment du repas. Agressivité verbale, puis coups de sacs dirigés vers une infirmière. Son intervention est nécessaire et bienvenue. Puis ce fut mon tour.
" Je vais te crever ! "
" Quand Léon vient me serrer la main aujourd'hui, c'est sereinement que je réponds à son salut. Sans arrière-pensée et cependant ...
Jeune Laragnais d'une vingtaine d'années, Léon a suivi une scolarité quasi normale à part le redoublement du Cours Préparatoire, et quelques troubles d'élocutions qui entraîneront quatre ans de suivi en orthophonie. Il décompense l'année de son bac professionnel, ce qui entraîne une première hospitalisation pour repli, inhibition et délire mystique. Un traitement par neuroleptique retard est instauré, doublé d'une prise en charge au Centre Médico-Psychologique à sa sortie. La deuxième hospitalisation pour troubles du comportement permet un réajustement du neuroleptique. Il sort avec un projet de stage à une centaine de kilomètres de chez lui. Il continue de voir son psychiatre qui le trouve plutôt bien. L'injection retard est arrêtée à sa demande depuis quelques mois lorsqu'il est transféré en Hospitalisation sur demande d'un Tiers, depuis Grenoble.
C'est à ce moment-là que je fais sa connaissance. Physiquement, Léon n'est pas très grand, il est plutôt mince. A Grenoble, il errait et divaguait sur la voie publique, ne s'alimentait pas. Halluciné, il faisait des prières les mains peintes en rouge. Le diagnostic de schizophrénie hébéphréno-catatonique a été posé.
Dans le service, il reste en pyjama. Il faut le protéger De ses hallucinations, des fugues. Mais peu importe le vêtement, rien ne l'empêche de se retrouver dans la piscine en ville pour tenter de s'y noyer ! Sauf un bassin vide. La course pour aller se jeter sous le train est arrêté par des soignants Ils sont présents encore quand il se saisit d'une paire de ciseaux pour la retourner contre lui.
Au début de son séjour, il restait de longs moments prostré dans sa chambre. Son regard inquiétant nous indiquait qu'il était sous l'emprise du délire. Tout son corps tendu traduisait l'angoisse qui l'envahissait. Léon parlait peu, jetant des regards inquiets alentours Plus tard, il expliquera comment il contaminait les autres par la parole, sauf ceux qui étaient vaccinés, comme nous les soignants. Il exprime son délire par bribes. De façon peu précise parfois. Il ne se souvient pas, il cherche. J'ai moi-même eu du mal avec mes souvenirs. J'ai recherché la synthèse de l'hospitalisation sur les éléments de son délire. Idées de persécution, plaintes hypochondriaques, craintes de morcellement, empoisonnement ... J'avais oublié de nombreux points importants Je cherchais des notes où Léon s'exprimait sur la fin du monde. Il disait que tout le monde y passerait. L'annonce lui avait été faite par des statues immenses et effrayantes. Elles le menaçaient, brillaient, rayonnaient et l'éblouissaient. C'est tout ce qui me reste en mémoire Ce ne sont que quelques mots peut-être sans intérêt dans l'histoire de Léon mais ils sont très important pour moi. C'est peut-être à cause de ces statues qu'il m'a agressée. Un jour à midi, il prenait son repas à sa table. Il était le dernier. J'avais commencé à manger à mon tour en compagnie de deux stagiaires. Tout était calme. Nous échangions. Je pouvais voir Léon en face de moi, à quelques mètres de notre table. Soudain, il se lève, le bras en l'air armé de sa fourchette, hurlant :
"Je vais te crever "
Je ne bouge pas dans un premier temps.
"Qu'est-ce qui vous arrive ? "
Il continue à avancer droit sur moi d'un pas rapide. Je peux apercevoir ses yeux exorbités. Son regard semble être sous l'emprise d'une hallucination. Ce n'est pas mon image qu'il voit. Il ne doit pas entendre ma voix non plus. Il ne répond pas à ma question et répète :
"Je vais te crever "
Il est tout près, danger. Je me lève de la chaise à mon tour. Ca va très vite ensuite. Les stagiaires se sont éloignées d'environ deux mètres. Je recule devant lui. Je continue à parler. En vain, mes paroles n'arrivent pas à l'interpeller. J'ai déjà fait un tour de table. J'ai peur. Je fuis. J'évite, je mets de la distance entre cette arme improvisée et moi-même. Je me sens alors fragile, vulnérable et terriblement seule face à ce sentiment de peur qui me submerge. Je continue à parler dans le but de rétablir un contact. Qu'en est-il du soin à ce moment précis ? Je fuis mais je suis toujours autour de cette table pour un deuxième tour. Peut-être le temps de la réflexion nécessaire pour analyser la situation il faut le contenir physiquement puisque la parole ne suffit pas. Quelques secondes qui m'ont paru interminablement longues. Je demande de l'aide aux filles qui nous regardent, impuissantes. "Comment faut-il faire " Rapidement le contact physique s'établit : tenter de lui immobiliser les bras pour lui faire lâcher prise de la fourchette tandis qu'il porte des coups dans le vide et dans notre direction, le déséquilibrer et le mettre à terre allongé pour le contenir malgré son agitation psychomotrice, pas facile. Toutes nos actions sont simultanées pas très précises, ni coordonnées mais à trois nous y parvenons. Léon continue ses menaces verbales. L'agitation cède puis reprend. Je suis moi-même allongée sur lui, à terre, épuisée par la lutte mais je le contiens encore jusqu'à l'arrivée de deux collègues qui prennent le relais et relèvent Léon pour l'accompagner à sa chambre. L'agitation est terminée. Je me lève moi aussi pour retourner à table. Je me sens vidée, remuée émotionnellement. De nombreuses questions parviennent à mon esprit sur le moment. Comprendre pourquoi, comment Je n'étais plus en mesure d'y répondre. Quelle erreur avais-je commise ?
La psychologue de l'unité est venue nous rejoindre à ce moment-là. Débriefing bienfaisant J'ai pu raconter l'épisode délirant, mettre des mots, préciser ma place à table. Il y avait du soleil. Une hypothèse a été énoncée concernant les statues brillantes. Il se peut que Léon m'ait prise pour l'une d'entre elles dans le contexte. Plutôt rassurante l'interprétation m'a permis de continuer les soins avec Léon. Elle m'ôtait un poids non négligeable celui de la culpabilité que je ressentais et me permettait enfin d'envisager la relation future avec moins d'appréhension.
J'ai pensé un bref moment que j'avais été violente en pratiquant la contention à même le carrelage au milieu de la salle à manger. Non C'était du soin. Une relation de confiance s'établissait ou se vérifiait par ce contact.
Comment me remettre en relation avec Léon ? L'aide apportée par mes collègues qui ont repris le passage à l'acte le jour même dans un premier temps, puis le lendemain en ma présence, a facilité la reprise de la relation. Echanges de paroles, excuses de Léon la relation de soin semblait toujours présente. Aujourd'hui, je pense que cette tentative d'agression dirigée contre ma personne est bien minime par rapport à la violence que subissait quotidiennement Léon. J'avais pu me rendre compte en première ligne de l'angoisse massive qui s'exprimait dans ses yeux, sur son visage lors de l'explosion du délire. Quelle souffrance, quelle violence pour lui Quel combat pour ne pas mourir il devait mettre en actes par moments alors que parfois des impulsions le poussaient vers la recherche de la mort plutôt que d'affronter le délire ou la réalité dont il le protégeait.
Aujourd'hui, Léon est stabilisé. Sorti de l'unité depuis longtemps, il est en voie de réinsertion et je le croise parfois quand il va prendre ses repas au self, nous nous serrons la main, nous gardons le contact. "
Un désert
Au total, une dizaines d'expériences des différentes manifestations de violence ont été étudiées. C'est à partir de ces récits, de leur mise en question que peut se forger une expérience et une façon de prévenir, de gérer, de réguler l'agressivité et la violence dans l'institution soignante. Mais concrètement, comment faisons-nous pour gérer ces situations dans le contexte d'unités ouvertes dépourvues de chambre d'isolement ?
Ecoutons Jean-Louis nous raconter le début d'une nuit dans le service.
" Vingt et une heure, il fait nuit et froid en ce soir de décembre lorsque je pénètre dans l'unité d'accueil. Ce soir, je suis de nuit.
Les nuits, nous nous les partageons, à tour de rôle, avec plus ou moins d'enthousiasme. La nuit, l'hôpital se vide. Nous restons une dizaine d'infirmiers pour plusieurs unités. C'est le moment où toutes les activités s'arrêtent. Moment où les angoisses de certains patients sont majorées. Angoisses auxquelles il faudra apporter une réponse au plus juste afin d'éviter un dérapage qui pourrait être lourd de conséquences.
A l'unité d'accueil, nous sommes deux. Ce soir je travaille avec Thierry. Cela me rassure. Je m'entends bien avec lui et je sais que je peux compter sur lui. Il est calme. La nuit devrait bien se passer. Dès les premiers pas, dans l'unité, je palpe l'ambiance. C'est calme, trop calme. Certains patients sont devant la télévision, mais la détente ne semble pas être au programme. A mon arrivée, ils répondent de la tête à mes salutations. J'entre dans le bureau pour les transmissions. Les collègues de l'équipe d'après-midi nous annoncent que Jean François est arrivé …
Jean François a tout cassé au CMP, cette après-midi. Il est en HDT. Cela faisait plusieurs jours que ça n'allait pas. Insultes, menaces, colères, il a fallu qu'il se déchaîne pour arrêter tout ça. Pompier, police, samu…Tout le monde a été mobilisé … Je ne connais pas Jean François. Mais ce qui m'est rapporté n'est pas fait pour me rassurer. Je me dis : nous verrons bien car il n'est pas rare d'avoir de telles informations décrivant une agitation dans un épisode aigu. Le cadre de l'hospitalisation et les tous premiers soins dégonflent, généralement, rapidement l'agitation.
Jean François dort depuis un moment déjà. Les collègues (femmes) n'ont pas osé le réveiller pour lui donner son traitement. Et nous chargent de le lui donner.
Un peu plus tard, nous frappons à la porte de la chambre de Jean François pour une première rencontre. Jean François ne répond pas, il dort. Nous nous approchons de son lit. Et lui parlons doucement pour le réveiller afin de lui proposer un plateau repas et son traitement. Jean François se redresse sur son lit afin de reprendre ses esprits. Nous nous présentons chacun notre tour. Là, Jean François nous interrompt en nous insultant, s'en prenant tour à tour à chacun de nous, également. Nous lui proposons le traitement et son repas. Ce qui ne fait qu'augmenter la violence de ses menaces et de ses insultes. La tension de Jean François est extrême. Il est debout devant nous, face contre face, à quelques centimètres de notre visage et nous hurle dessus. Il est d'accord pour prendre le traitement mais quand il le voudra. Le moindre mot de notre part ne fait qu'accroître la tension de Jean François, il nous crie de toute sa force sa haine de la nature humaine nous prenant à parti à tour de rôle. Thierry me lance des regards. La situation peut dégénérer aux moindres mouvements. Jean François nous contrôle, nous n'avons pas droit à la parole et il nous oblige à rester dans cette position, face à lui, yeux dans les yeux, à recevoir, à écouter sa haine et son désespoir. Maintenant, il me semble qu'il nous demandait de pouvoir supporter cela. Jean François nous a hurlé sa vie qui n'était qu'un désert. Puis au bout de quarante-cinq minutes, il s'est assis devant son plateau repas. Et a passé une bonne nuit… "
En relation
Prendre le temps, environ 45 minutes cette fois-ci, être à l'écoute, supporter la proximité et la décharge verbale ont suffi pour qu'une relation s'établisse et que la patient puisse arriver à trouver le repos. Jean-Louis aussi était en confiance avec son collègue homme. Mais comment faire quand les équipes sont majoritairement composées de femmes ? Personnellement, je préfère parfois que les hommes soient discrets et se tiennent à distance quand je suis en relation avec un patient qui s'agite et menace de tout casser.
C'est ainsi avec Vincent. Il a une vingtaine d'années, pèse dans les 80 kilos et me dépasse de deux têtes. Il a été hospitalisé pour une bouffée délirante consécutive à une prise de toxiques. L'entretien d'accueil infirmier suivi d'autres rencontres formalisées ou non nous a apporté des éléments de son histoire. Ses parents sont aujourd'hui séparés. Sa mère ne veut plus le recevoir chez elle. Elle ne vient pas non plus le voir à l'hôpital. Elle a peur. Peur de ses réactions violentes. Sous toxiques et lors de rites sataniques auxquels elle l'aurait initié... Elle a peur pour son autre fils, plus jeune, qu'il pourrait entraîner dans son sillage. Le père, décrit comme malade par son épouse, a déménagé dans le Sud et créé une autre famille. Il ne souhaite pas non plus le recevoir chez lui mais se manifeste parfois au téléphone et vient lui rendre visite à l'occasion. C'est un père ambivalent qui exprime soit son amour pour son fils, soit un rejet massif. C'est d'ailleurs à l'occasion d'une visite du père que Vincent dira en entretien familial qu'il a subi un viol dans un camp où ses parents l'envoyaient régulièrement. Vincent reproche à son père de l'avoir envoyé chez un prêtre pervers mais il lui demande aussi aide et soutien pour porter plainte. Le père surpris par cette révélation promet mais ne donne pas suite.
Quand il n'est pas sous toxiques, Vincent nous expose de longues théories sur la kabbale, sur le cosmos, sur la physique et la chimie. Il est décrit comme fabulateur par les uns, comme psychotique par les autres et comme psychopathes par la majorité de l'équipe.
Il survit, tente des sorties, squatte chez des copains, des copines, fait des dettes, se met en danger et revient à l'hôpital où il peut exprimer son angoisse, sa tristesse d'être largué par ses parents mais aussi sa colère. Il ne supporte plus l'ambiance de l'unité, ni les patients. Il lui est arrivé d'agresser physiquement des personnes désorientées ou délirantes qui entraient dans sa chambre. Il a cassé le bras d'un patient schizophrène qui l'avait provoqué verbalement en mettant en cause sa mère. Il a cassé des vitres, des portes, des meubles, le pare-brise de la voiture de son psychiatre. C'est surtout sur les objets qu'il décharge son agressivité apparemment sans aucune limite. Quand il s'en prend à des personnes, ses gestes paraissent retenus, contrôlés. Il entend la parole du soignant et peut s'arrêter alors instantanément. Ce qui l'apaise plus particulièrement c'est le toucher.
Je l'ai expérimenté avec Vincent. Je propose des séances de relaxation une fois par semaine. Il vient régulièrement à cette séance de groupe. Il attend surtout le massage final. Il se laisse alors aller complètement à la détente. Je sens ses tensions sous mes doigts. Elles s'amenuisent petit à petit. Il apprécie, remercie. Son visage est souriant. On dirait un visage d'enfant, heureux, sans émoi. " Il va tuer quelqu'un " dit un infirmier inquiet lors d'une relève.
Cette réflexion, cette affirmation me laisse perplexe. Je n'ai pas peur de Vincent. Suis-je inconsciente ? Le téléphone sonne. Je décroche. Ma collègue de l'autre unité m'interpelle vivement.
" Vincent est chez nous. Nous ne voulons pas de trafic. Il est interdit qu'il entre dans l'unité. Ce n'est pas la première fois qu'il le fait. Passe-moi la surveillante ! Vous ne pouvez pas garder vos malades chez vous. Et en plus il est violent, il s'énerve "
Ouf, le flot de paroles se tarit. Je peux enfin répondre que j'arrive. Je transmets à mes collègues : " J'y vais ". Je ne pense pas sur le moment que les hommes puissent intervenir. Marc me propose de m'accompagner, je hoche la tête pas convaincue. Il a compris, il restera en retrait. Environ 20 mètres séparent les deux unités. Vincent sort de l'unité, en colère puis me voit, réalise qu'un coup de téléphone a été passé :
" Tu viens me chercher ? "
Il est contrarié, lève les bras continuant à marcher vers moi, je fais de même et lève les bras ouverts interrogative jusqu'à la rencontre. Il me prend dans ses bras un bref moment. Je réponds à ce geste, acceptant l'accolade, il se relâche et commence à m'expliquer l'altercation. Mon collègue nous rejoint. Nous allons reprendre l'incident, recadrer dit la surveillante.
Dans la situation décrite, je suis arrivée après l'altercation, ce qui n'est pas toujours le cas. Quand je suis présente quand la tension monte, quand je la perçois au tout début, il suffit parfois de proposer un entretien pour que la pression tombe. Toutefois, il est des moments où le passage à l'acte est là prêt à s'accomplir, l'agressivité verbale est à son comble. J'interviens à ma façon. Je lui prends la main fermement et lui demande de me suivre. Des collègues disent que je me mets en danger. Je ne le ressens pas. Un jour, il m'a dit que sa mère lui manquait. En pleurs, il s'est blotti contre moi comme un enfant me faisant la réflexion que je pourrais être sa mère. Il pourrait effectivement s'agir de transfert.
Bien sûr, je me pose des questions. La violence de Vincent a évolué. Elle s'est accentuée quand il a pu parler de son viol, de ses agresseurs, quand il a porté plainte tout seul. Son avocat lui a appris dernièrement qu'il risquait la prison pour une affaire d'escroquerie à la banque. L'angoisse alors était insupportable, c'est lui qui a demandé une augmentation de traitement ponctuelle pour affronter cette situation. Il n'en a pas moins continué à aller à l'atelier thérapeutique situé à une quarantaine de km et au CATTP tous les mercredis.
Dans l'unité, nous gérons. Nous l'accompagnons dans un projet de sortie dans un centre de réinsertion dans lequel il pourra aller s'il n'est pas condamné. Il participe aux réunions communautaires dans lesquelles les questions autour de la violence et de la prison ont été abordées. Il échange avec les autres patients, il échange avec les soignants et parle de sa violence. Il chemine ...
Avancer ?
Ainsi, essayons-nous d'avancer sur cette question.
Issu de la formation sur la violence, un groupe de réflexion et de recherche sur cette question a démarré en septembre 2001. Nous nous réunissons une demi-journée par mois. Nous nous sommes donnés comme objectifs de réfléchir sur la question de la violence en nous limitant aux repas, que celle-ci aient le self comme cadre ou non. Il s'agissait pour nous de choisir un lieu, un temps limité et de travailler à analyser le contexte de ces manifestations de violence. Le faire dans un lieu commun aux différents corps de métier nous paraissait plus intéressant, en ce sens que différents regards s'y rejoignent. Nous avons ainsi rencontré les cuisiniers de l'établissement afin de repérer leurs représentations de ce qui leur faisait violence, ce qu'ils attendaient des différents partenaires qui collaborent avec eux au self. Nous avons formalisé un premier travail présenté dans le cadre de journées de réflexion comme la vôtre. Nous avons en projet de réaliser une formation de trois jours à destination des personnels administratifs et du self pour les sensibiliser à ces problèmes et leur permettre de les dépasser.
Marylène Martin, IDE, Unité Provence
Jean Louis Piquet
ISP, Unité Gentianes
Laragne (05)
2002.
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