De la conscience du corps à l'expression de soi
De la conscience du corps à l’expression de soi
Expérience d’un groupe en ergothérapie
INTRODUCTION
Je travaille au Centre Hospitalier Edouard Toulouse depuis 2009 et plus précisément à l’HDJ Marine Blanche (secteur du Dr SIRERE) depuis l’année dernière.
Au fil de ma pratique professionnelle auprès de personnes souffrant de psychose, j’ai développé un intérêt pour les médiations corporelles.
Aujourd’hui j’ai choisi de vous parler de mon expérience autour du corps en ergothérapie, à travers l’atelier « conscience du corps, expression de soi » que j’ai pu mener en HDJ.
Ma présentation se déroulera en 4 temps…
- La médiation corporelle, quelles visées thérapeutiques ?
Les pathologies psychiatriques ont souvent des répercutions dans la sphère corporelle : Troubles de l’image du corps, désinvestissement du corps réel au profit de l’activité délirante, repli sur soi, perte de l’estime de soi, tensions psychomotrices, douleurs…
En plus d’exprimer la souffrance psychique, le langage du corps traduit un mode de relation à soi, à l’autre et à l’environnement. Il est porteur des mémoires, des désirs, de l’histoire de chacun.
La médiation corporelle permet d’appréhender la personne dans une globalité psychocorporelle. Elle est donc un outil thérapeutique très riche, aussi pour l’ergothérapeute qui vise, par le biais d’activités significatives pour la personne, à :
-entrer en relation avec le patient
-évaluer la répercussion de sa maladie sur ses capacités de relation, d’adaptation et de réalisation
-développer ses potentialités afin d’accéder à un mieux être.
Le groupe à médiation corporelle que je propose, vise à une prise de conscience du corps (travail sur l’ancrage, le schéma corporel, la globalité…) et à l’expression de soi, pour soi et avec les autres (mise en mouvement liée aux sensations, à l’imaginaire, sentiment d’existence, dimension relationnelle…).
2. Modèles théoriques et méthodes
Modèles théoriques
Les courants de la pensée occidentale autour de la question du corps humain remontent à l’antiquité et continuent à évoluer. On peut les regrouper en 3 modèles :
- La psycho-physique neurologique se consacre à l’étude du cerveau et de l’intelligence,
- La psychanalyse avec la découverte de l’inconscient par Freud, se consacre à l’étude de l’image du corps dans la triple dimension du Réel, du Symbolique et de l’Imaginaire (Lacan) ou encore le Moi-peau (Anzieu).
- La phénoménologie étudie le corps propre et le vécu corporel en relation avec autrui et le monde (Merleau-Ponty). Cette méthode scientifique cherche à revenir aux choses mêmes et à les décrire telles qu’elles apparaissent à la conscience, indépendamment de tout savoir constitué (Husserl).
Méthodes
Utiliser une médiation corporelle nécessite d’avoir fait, soi-même, un travail d’implication corporelle et de réflexion autour du corps. Pour ma part, les méthodes auxquelles je me suis formées et qui nourrissent ma pratique sont la sophrologie, l’expression corporelle et la danse thérapie.
LA SOPHROLOGIE « science de la conscience » créée par le Dr CAYCEDO, neuropsychiatre, en 1960.
Approche phénoménologique, cette méthode repose sur des relaxations dynamiques qui permettent l’intégration du schéma corporel comme contenant et lieu à être, favorisant l’harmonisation corps-mental et la présence à soi et au monde.
L’EXPRESSION CORPORELLE
Cette méthode vise à redécouvrir les potentialités imaginaires du corps afin de les transformer, au moyen de l’expressivité, en représentations. Le mouvement créé devient alors signifiant de la langue. Toutes les possibilités expressives du corps sont mises en jeu :
- voix et musique
- toucher
- regard
- mouvement
LA DANSE THERAPIE
Elle ne vise pas la performance, elle permet à la personne de stimuler la globalité de son vécu corporel, renforçant ainsi sa cohésion interne.
Elle met en jeu et harmonise les différents niveaux d’organisation de l’individu (cognitif, somatique, psychique, relationnel).
C’est un langage qui passe par l’expérience vécue, par les sensations corporelles. Le travail d’élaboration s’effectue d’abord au sein du corps du sujet pour permettre une meilleure régulation des perceptions corporelles, sensorielles, des affects et des idées.
La danse facilite la capacité à communiquer en provoquant une meilleure prise sur le réel.
3. De l’activité à la médiation en ergothérapie
La danse, la sophrologie, l’expression corporelle ou encore le Taï-chi, ont d’abord été pour moi des activités que je pratiquais sur un plan personnel.
Mon vécu et mon expérience m’ont permis d’en ressentir les effets bénéfiques et de prendre conscience de leur potentiel thérapeutique.
J’ai donc entrepris une démarche de formation qui m’a permis de prendre du recul (me décentrer de mon propre vécu) et d’acquérir des connaissances et un savoir faire sur ces méthodes.
Puis, mes compétences professionnelles : analyse réflexive de l’activité, connaissances de la pathologie, de la relation et du cadre thérapeutique, de la médiation…m’ont permis de relier ces méthodes et de leur donner une valeur de médiation thérapeutique en ergothérapie.
Enfin, la créativité de l’ergothérapeute lui-même permettra de composer des séances adaptées aux besoins de chaque patient et du groupe lui-même en « jouant avec la palette de ses outils ».
4. Présentation de l’atelier « conscience du corps, expression de soi »
HDJ Camille Claudel 2009-2016
Tous les vendredis matins, j’ai RDV avec les membres du groupe « relaxation » (c’est comme ça que les patients le nomment) pour une séance d’1h15. RDV dans une salle neutre et enveloppante, dans un cadre thérapeutique contenant, dessiné par les constantes (que je préciserai toute à l’heure)
Au fil du temps la relation de confiance a coloré le décor et permis à chacun d’évoluer et de faire évoluer la dynamique de groupe.
Au début, en 2009, le groupe était constitué de 4-5 patients très ralentis, apragmatiques ou inhibés avec beaucoup de douleurs physiques et de difficultés à se mouvoir. Les séances se déroulaient donc en position allongée : prise de conscience du corps et de ses contours (travail du schéma corporel et de la respiration)
Au fur et à mesure, le groupe s’est agrandi (gardant le même noyau) et dynamisé. Nous sommes passés de la position allongée à la position debout, la marche, la danse, seul puis avec les autres : Mise en mouvement, expressivité du corps, de soi, relation à l’autre.
CADRE THERAPEUTIQUE
Entendu comme enveloppe psychique contenante et rassurante pour les patients. Il se définit par les constantes suivantes :
- Lieu : les séances se déroulent dans la salle de médiations corporelles de l’HDJ
- Temps : tous les vendredi matin de 10h30 à 11h45
- Modalités : c’est un groupe ouvert de 8 patients, avec nécessité d’une participation régulière pour favoriser un climat de confiance et les effets thérapeutiques.
- L’activité est menée par moi-même, avec ponctuellement, la participation de stagiaires (Ergothérapeutes, Psychomotriciens, IDE…)
- Comme dans chaque groupe thérapeutique, il y a des règles telles que : le respect de l’autre, des lieux, une tenue vestimentaire adaptée, éviter de sortir de la pièce pendant la séance, pas de « spectateur », rangement du matériel en fin d’activité…
Au sein de ce cadre rigoureux, il y a un autre cadre, plus malléable, en mouvement, mais qui, à mon sens, participe aussi de l’enveloppe psychique contenante. Il s’agit de la musique et des consignes.
La musique permet à la personne psychotique ou non, de s’accorder au monde extérieur. Elle crée un lien entre le dedans et le dehors, c’est une réalité commune et partagée par tous les membres du groupe.
Il est du rôle du thérapeute de savoir choisir la musique qu’il utilise pour qu’elle réponde à la visée de la séance (ancrage, confiance, ouverture, apaisement…)
Les consignes: constituent un étayage qui doit à la fois rassurer et laisser un espace pour que le patient se l’approprie et s’y exprime.
Le choix du placement du groupe par exemple (cercle, lignes, par 2…) sera différent selon l’objectif (cohésion groupale, travail du schéma corporel, identification, lâcher prise…)
INDICATIONS
Ce travail peut être proposé aux patients présentant, par exemple :
– des troubles psychosomatiques
– des tensions psychomotrices, des douleurs
– une inhibition
– troubles de l’image du corps
– des troubles anxieux
– une perte de l’estime de soi
L’indication peut être faite par le médecin ou proposée par l’équipe. Le patient peut également en faire lui-même la demande.
CONTRE-INDICATIONS
– une perte majeure de contact avec la réalité (troubles dissociatifs importants ou un délire envahissant)
– une instabilité psychomotrice majeure
– des troubles du comportement incompatibles avec la situation de groupe
DEROULEMENT D’UNE SEANCE
Dix minutes avant,je rappelle aux personnes du groupe, que nous allons commencer la séance et les invite à rejoindre la salle.
Les patients retirent (spontanément ou à ma demande) leurs chaussures, leur veste et leur sac avant d’entrer dans la salle, ce qui symbolise le passage d’un espace à un autre, du dehors au-dedans.
- Sur une musique douce ou rythmée, Je me situe ici et maintenant…Présence…
- Marche, déplacements, sous différente formes.
- Prise de conscience de mes propres sensations corporelles, de l’espace, des autres,
- 2. Mise en mouvement progressive de toutes les parties du corps, en musique.
- Travail d’imitation (processus d’identification …), assouplissement, éveil, stimulation du schéma corporel (articulations, muscles, peau, globalité…)
- Prise de parole corporelle, lâcher prise, expression, créativité (processus d’individuation…) chacun s’exprime à tour de rôle au sein du groupe.
- 3. Du mouvement à la danse : portée par la musique, et tissée par les consignes qui favorisent le lien et l’échange avec l’autre ou le groupe, une dynamique groupale émerge au fur et à mesure de la séance, offrant des moments de partage, d’échanges spontanés, de plaisir….sentiment d’exister et d’appartenir à un groupe.
- 4. Invitation progressive à se recentrer sur soi : ralentissement du rythme, étirements, respiration, prise de conscience du vécu personnel et partagé
- 5. Temps de relaxation (méthode de sophrologie), en position allongée sur un tapis.
- 6. Chacun retrouve son cahier personnel (qui reste dans la salle) pour y noter son vécu de la séance, puis le partage oralement avec le groupe.
En fin de séance, chacun participe au rangement du matériel, et retrouve ses affaires personnelles (chaussures, sacs…).
Rq : J’ai envie d’insister sur le fait que l’évolution progressive des consignes doit s’adapter à l’évolution des patients et suivre un déroulement cohérant avec le processus thérapeutique en cours. Qui dit processus, dit continuité, durée et mouvement.
EVOLUTION DU GROUPE – BILAN
Comment parler de l’évolution sans dire un mot de l’évaluation…
– Dans ce cas, elle est qualitative
– Elle porte sur les capacités et difficultés individuelles de la personne, en lien avec son histoire, sa problématique, sa pathologie… et sur le groupe et ses dynamiques.
– Elle est basée sur l’observation clinique de l’ergothérapeute et sur le vécu exprimé par le(s) patient(s).
– Elle fait l’objet de transmissions et d’échanges avec l’équipe pluridisciplinaire (intégration dans le suivi global)
– Elle alimente l’analyse clinique, processus dynamique qui se déroule à chaque instant (avant, pendant, après la séance)
1/ A travers mes observations cliniques, je note que :
- Les patients se sont approprié ce temps, ils sont demandeurs et réguliers.
- Le respect et l’attention portés les uns envers les autres, traduisent une bonne cohésion de groupe.
- Ils verbalisent une diminution des douleurs et une amélioration des capacités physiques (souffle, souplesse, posture…)
- Je vois se développer les notions de plaisir, de prise d’initiatives, de lâcher prise, de créativité et s’améliorer les capacités à exprimer, verbaliser son vécu intérieur.
- Amélioration des capacités relationnelles
- Meilleure présence, meilleur ancrage, moins de dissociation corps/esprit
- Verbalisation possible de demandes autour du corps, pouvant traduire une meilleure conscience de soi (besoin d’activités physiques, esthétiques, suivi en ostéopathie ou kinésithérapie…) Ce qui m’amène à orienter certains patients vers d’autres espaces de soin comme l’ostéopathie ou encore l’activité danse que nous faisons une association. Dispositif qui offre la possibilité d’une ouverture sur l’extérieur et d’une insertion dans la cité par l’approche corporelle. (intervention de l’année dernière).
2/ Le vécu exprimé par les patients
J’ai envie de leur laisser la parole. Je vous propose d’écouter, avec leur accord, leurs ressentis à la fin d’une séance. Tous les patients que vous allez entendre ont souhaité être enregistrés.
Ps : « relaxation = atelier conscience du corps/expression de soi ».
Sabrina Bouttier, ergothérapeute en psychiatrie adulte depuis 15 ans (intra-extra), C. H. Edouard-Toulouse, Marseille (13)
Texte présenté lors de la journée Serpsy, Du cri à l’écrit psychose, corps et traces, février 2017.
Date de dernière mise à jour : 31/05/2020
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