Assoun P.L, l'Angoisse

« L’angoisse »
Paul-Laurent Assoun

Angoisse ii

Pour cheminer, pas à pas, autour d’une notion complexe qui est au cœur du fonctionnement humain et donc du soin. Une lecture psychanalytique de l’angoisse. 

« L’angoisse s’annonce par un évènement physiologique, complexe de symptômes neurovégétatifs -dyspnée, tachycardie, voire sudation et spasmes- corrélé à un sentiment d’inquiétude, lié à quelque menace à la fois imminente et indéterminée. Par-là, le terme mérite son étymologie : l’angoisse (Angst) dit le resserrement (angustia). Point d’angoisse sans ce resserrement épigastrique qui en est le signe clinique tangible et en quelque sorte pathognomonique.
L’angoisse tient dans cette métaphore du resserrement, prise à la lettre par le corps. Serrer, c’est exercer une pression de sorte que l’ouverture devient plus étroite. De fait, l’angoisse se signifie par le resserrement, cardiaque et respiratoire (angor pectoris). Quelque chose devient plus étroit, sentiment de suffocation.
»
(p.7)

L’auteur

 Né en 1948, Paul-Laurent Assoun, psychanalyste, ancien élève de l’Ecole normale supérieure de saint Cloud, docteur en science politique, philosophe est professeur à l’université Paris VII où il dirigea l’UFR de Sciences humaines cliniques jusqu’en fin 2007. Il est membre de l’UMR (Unité Mixte de Recherche) avec le CNRS, « psychanalyse et sciences sociales ». Il assume les fonctions de directeur de la collection « Philosophie d’aujourd’hui » aux Presses Universitaires de France. Il est enfin membre du comité de rédaction de la revue de psychanalyse « penser/rêver ». Son actualité éditoriale n’est pas mince, il a notamment publié, en 2009, un monument : « Le dictionnaire des œuvres psychanalytiques » (2) qui est le premier dictionnaire qui soumet l'ensemble des œuvres psychanalytiques (et pas seulement les notions) à un examen tant du point de vue du contenu que de la forme et de l'essentiel du corpus de Freud et des postfreudiens. 

« Qu’est-ce qui lie, dès lors, l’angoisse au symptôme ? Le principe de base en est que les symptômes névrotiques constituent un moyen d’empêcher l’irruption de l’angoisse, de « faire avec ». Le symptôme est une stratégie face à l’angoisse : c’est ce qui fait que « l’angoisse est en quelque sorte placée au centre de notre intérêt pour le problème des névroses.
S’il y a bien une souffrance du symptôme, il ne faut pas perdre de vue qu’elle permet d’éviter les affres de l’angoisse. Un symptôme,
« c’est un vrai plaisir », si on le compare aux tourments de l’angoisse …
Corrélativement : faire tomber le symptôme, c’est s’exposer à faire (re)surgir l’angoisse. C’est en tout cas un effet mécanique qui révèle que le symptôme névrotique est savoir y faire avec l’angoisse. Ainsi, c’est quand il n sait plus y faire, un jour, avec son angoisse que le sujet se décide pour de vrai à entrer en analyse. Il n’y a d’accès à la vérité qui ne soit franchissement de l’angoisse. »
(pp.21-22)

L’ouvrage

Le livre existe au sein d’une collection de poche qui a pour nom « Leçons psychanalytiques sur … ».  Ces petits livres réalisent une véritable plongée au cœur d’une notion psychanalytique. Le concept est d’abord introduit dans une sorte « d’avant-portrait » qui décrit l’état de la notion avant Freud. Il est ensuite situé d’une façon générale dans l’œuvre freudienne avant d’être discuté au fil de ses apparitions dans les différents articles et ouvrages écrits par Freud puis par ceux qui lui ont succédés dont Lacan. Le passage de l’un à l’autre et la relecture lacanienne de Freud apparaît ainsi d’une façon quasi limpide. En une petite dizaine de leçons, nous avançons ainsi pas à pas dans un formidable outil pédagogique. 
L’ouvrage est divisé en trois parties, la première nous transporte sur la scène de l’angoisse et décrit ses fonctions inconscientes, la deuxième s’intéresse à la métapsychologie de l’angoisse, la troisième, enfin, nous conduit à nous interroger sur les destins et les enjeux de l’angoisse. 
La première « doctrine de l’angoisse » se fixe avec l’introduction du narcissisme en 1914. Freud revient sur ce thème dans « Inhibition, symptôme et angoisse » mais il ne cesse d’y revenir tout au long de son œuvre. Lacan reprend le problème et inscrit « L’angoisse » à son séminaire. Il en fait l’affect où le sujet vacille, sous le coup de boutoir aveugle de sa rencontre avec l’Autre. 
L’angoisse apparaît comme une expérience aussi répandue qu’énigmatique, aussi répétitive que disruptive. Freud écrit que c’est dans l’angoisse que se trouve la clé de la question de la névrose qui contient la clé du désir humain, celée dans le symptôme. Pour atteindre le cœur du conflit inconscient il faut traverser l’angoisse. 
L’angoisse, vécu et événement est une situation. « Elle est la palpitation morbide du désir où le sujet s’étrangle et où le langage se suspend. »  Elle part du corps et y revient. Elle est physique de bout en bout. C’est autour de l’angoisse que Freud fait sa première innovation nosographique. Il différencie neurasthénie et névrose d’angoisse. La psyché tombe dans l’affect d’angoisse quand elle se sent incapable de régler une tâche approchante du dehors par une réaction correspondante ; elle tombe dans la névrose d’angoisse quand elle se remarque incapable de compenser l’excitation endogène (sexuelle) naissante. Elle se comporte comme si elle projetait cette excitation vers l’extérieur. L’angoisse se nourrit d’une attente de quelque chose dont on ne sait rien sinon que si cela venait ce serait terrible. L’angoisse naît d’une frustration insue du sujet ou dont il ne mesure pas la portée sur l’économie de sa libido. C’est parce qu’il ne peut s’avouer qu’il est en manque, qu’il se sent menacé. 
Là où il y a de l’angoisse, il y a de la libido. Le propre de l’angoisse est de mettre en acte, d’un bloc, dans ce temps arrêté que comporte son vécu, les acteurs majeurs : il y faut un sujet, qui accuse réception de l’affect ; un objet, cause dont ce sujet s’angoisse ; un réel traumatique qui la creuse ; enfin de l’autre, altérité qui convoque le sujet. Avec ces quatre acteurs, nous pouvons avancer. Assoun nous invite dans la deuxième partie à repérer avec précision la contribution de ces « acteurs » à la situation d’angoisse afin d’en comprendre les ressorts et d’en construire la mise en scène. Une grande leçon pour le soin : un sujet, un objet, un réel et un autre. Quatre personnages à décrire pour un film d’horreur. 
Le moi apparaît comme à l’avant-poste du danger mais il est aussi le dernier rempart. C’est quand le moi craint pour sa capacité d’amour-propre qu’il s’angoisse. Quand la ligne est enfoncée, l’angoisse n’est plus possible, c’est la panique. L’angoisse protège donc contre l’effroi, elle est le filtre qui vient assourdir la frayeur. Elle est attente du trauma et une répétition atténuée de celui-ci. La castration est l’objet de l’angoisse. Elle naît quand le moi est convoqué dans un climat traumatique à prendre position envers la castration. Se jouant entre le moi et le surmoi, l’angoisse peut aussi être conçue comme une élaboration de l’angoisse de castration. Le sujet angoisse là où il désire. 
Il faut prendre le temps de s’arrêter à chaque page pour lire et discuter.

« Ainsi voit-on se dessiner chez Freud une histoire du développement par l’angoisse -ce qui revient naturellement à subvertir la notion de « développement » par cette fonction de réactivation diachronique du manque.
- A l’âge de la dépendance absolue et de la détresse, ce qui règle l’angoisse est le rapport entre dehors et dedans, somme d’excitations : phase protohistorique de l’angoisse qui en pose la condition physique.
- A l’âge d’enfant, s’impose l’angoisse de perte d’amour de l’objet -de séparation : le gros souci est que les personnes ne retirent pas le soin tendre : « ce n’est qu’avec la problématique de la perte d’objet qu’il est légitime de parler « d’angoisse ».
- A la phase phallique, domine l’angoisse de castration et son corrélat, la peur de la punition -césure capitale qui fait exploser le processus, espèce d’acmé de l’histoire de l’angoisse.
- Avec l’âge d’homme, sous l’effet de l’internalisation, l’emporte l’angoisse du surmoi en sa forme sociale (« angoisse sociale »). »
(p. 45)

L’intérêt pour les soins

Chaque soignant est confronté à l’angoisse, la sienne et celle des patients qu’il reçoit.  L’angoisse est constamment présente dans le soin. On ne peut soigner qu’en prenant en compte cette angoisse, qu’en l’élaborant pour soi et en aidant le sujet à en faire quelque chose. En contraste des théories qui pensent l’angoisse du côté du vide, la psychanalyse souligne qu’il y a un objet de l’angoisse, des plus précis, quoiqu’il s’avance masqué vers le sujet qui en est la cible. L’angoisse traduit l’impossibilité de se distraire d’une présence exorbitante. L’angoisse est « ce qui ne trompe pas ». C’est quand il se confronte « au manque du manque » que le sujet étreint le plus effectif de son être. 

Dominique Friard


Notes

1.    ASSOUN (Paul-Laurent), Leçons psychanalytiques sur l’Angoisse, Anthropos, Poche Psychanalyse, Paris, 2008, 2ème Ed. 
2.    ASSOUN (P-L), Dictionnaire des œuvres psychanalytiques, Grands dictionnaires, PUF, Paris, 2009. 

 

Date de dernière mise à jour : 07/11/2024

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