Barbier D., Clinique de la chronicité en psychiatrie
« Clinique de la chronicité en psychiatrie »
Dominique Barbier
Un des rares ouvrages qui interrogent la chronicité en psychiatrie, un chemin peu emprunté qui ouvre des pistes de réflexion passionnantes.
« Il est difficile de considérer la rechute d’un patient comme la seule résultante du hasard ou d’un concours de circonstances dont on ne situerait jamais la signification. La position fataliste n’apparaît dans le domaine du soin que comme un parti pris d’attribuer à des forces qui nous dépassent l’état actuel du malade. Elle a la valeur d’un sophisme paresseux où l’on se résigne d’avance à ce qui pourra survenir. La rechute met en difficulté à la fois la théorie et l’idéal, c’est-à-dire la situation subjective du clinicien qui se voit confronté à l’incompétence, alors même que la théorie ne peut rendre compte par elle-même de l’échec ou de l’erreur. Cela parce que la théorie est infiltrée de l’idée de guérison. »
L’ auteur
Dominique Barbier, aujourd’hui âgé de 70 ans est psychiatre, psychanalyste, ancien chef de service au Centre Hospitalier de Montfavet (84). Auteur de nombreux ouvrages et d’articles qui témoignent d’une pensée qui n’hésite pas à sortir des sentiers battus (sa thèse est dédiée au Don Quichottisme en psychiatrie), D. Barbier est président de l’Association Nationale de Recherche et d’Etudes en Psychiatrie. Il s’est formé à la criminologie. On lui doit, entre autres, La Fabrique de l’homme pervers (Paris Odile Jacob, 2013).
Nos pas se sont souvent croisés que ce soit dans des revues telles que Santé Mentale ou dans les congrès où il est un orateur apprécié. Ces rencontres furent toujours fécondes.
« On peut noter, par rapport au patient, l’un des paradoxes de l’institution psychiatrique qui se situe dans l’intolérance de certains traits de pathologie, alors même qu’une institution soignante devrait avoir une fonction d’écoute et d’acceptation du malade. Ce paradoxe aura pour effet de renvoyer le patient seul face à ses troubles, ce qui suscitera une angoisse massive aggravant la situation : plus les patients sont tolérés par les soignants, plus la situation est dédramatisée, surtout lorsque les contacts familiaux sont des plus espacés. »
L’ouvrage
La chronicité a longtemps été considérée comme une iatrogénie asilaire, comme à la fois « le stigmate et le paradoxe des hôpitaux psychiatriques ». « La chronicité, nous interpelle, commence Barbier, à plusieurs niveaux ; elle nous renvoie à nos incertitudes ; elle nous oblige à nous situer face à l’échec, fût-il temporaire ; elle est la pesanteur du réel face à la tentation de la toute-puissance. » Cet ouvrage d’un peu moins de cent pages nous confronte à cette pesanteur, à travers le parcours institutionnel de Louis, un patient psychotique dit chronique. Le livre débute donc par la présentation clinique de Louis. Barbier brosse sa position familiale, sans rejeter les théories systémiques. Louis, brillant élève qui rentre à l’école d’ingénieurs décompense à 23 ans. Barbier poursuit par le repérage de l’itinéraire institutionnel de Louis. Améliorations, rechutes, cure d’insuline, neuroleptiques, activités ergothérapiques, permissions, etc. Louis bénéficie de tous les aspects du traitement psychiatrique classique. La pathologie séquellaire s’installe progressivement. Elle résiste à tout traitement après plus de vingt ans d’évolution. Si le délire semble enkysté, l’écoute attentive de Barbier montre qu’il n’en est rien. Louis évoque ainsi en cours d’entretien, pour la première fois depuis vingt ans, l‘existence d’une voix dans le noir qui lui ordonne de se tuer. Transformation de la schizophrénie en psychose hallucinatoire chronique ou effet de l’absence d’écoute ?
Dans une deuxième partie, Barbier nous invite à nous interroger sur les facteurs de chronicisation. Il en relève trois : ceux qui sont propres au patient, aux soignants et ceux qui reviennent à l’institution. L’évolution clinique de Louis, qu’elle soit liée au génie évolutif de la maladie, aux décompensations successives, à des erreurs ou à des échecs thérapeutiques donne l’impression d’une pathologie fixée où domine la passivité, l’immobilisme et la régression mais l’intolérance de l’institution à certains traits de pathologie renvoie aussi le patient à ses troubles et à une effroyable solitude : « Plus les patients sont tolérés par les soignants, plus la situation est dédramatisée. » Du côté des soignants, une certaine forme d’activisme thérapeutique qui vise à la sortie du patient peut être un facteur de chronicisation si le patient ne s’implique pas suffisamment dans ce projet. En ce qui concerne l’institution, routines, rituels, respect tatillon du règlement favorisent la régression et aggravent la chronicisation par permanence d’objet anonyme. Dans la troisième partie Barbier témoigne que des perspectives d’avenir existent pour Louis qui a recouvré un plus d’autonomie accompagné d’un moins de souffrance autour d’un projet qui allie mouvement vers l’extérieur et respect d’une certaine forme de dépendance à l’institution.
La guérison psychique existe-t-elle ? C’est à cette ambitieuse question qu’est consacrée la 4ème partie de l’ouvrage. C’est à mon sens la partie la plus réussie et la mieux étayée de cet essai, celle qui nous permet le mieux de questionner nos représentations : Qu’entendons-nous par guérison ? Barbier envisage différents modèles de pensée qui ont tous en commun de penser la guérison comme un retour à l’état antérieur, comme s’il ne s’était rien passé. Cette référence idéalisée à la guérison est située à plusieurs niveaux : la formation du thérapeute et l’idéalisme qu’elle implique (ça se questionne aussi du côté des soignants), la position particulière de la théorie comme idéal du moi ; la relation thérapeutique qui distingue le bon objet du mauvais objet (bon ou mauvais soignant/bon ou mauvais patient) ; la pression groupale qui émane d’une fausse demande.
Ce détour par le concept de guérison permet de penser autrement la rechute et la chronicisation. Le thérapeute s’engage à être disponible et à rechercher avec le patient quel est le sens de la rechute dans l’optique de la resituer dans le processus de guérison, c’est-à-dire dans la trajectoire du patient. Il importe de s’intéresser autant à ce qui semble ne pas évoluer qu’à ce qui évolue et qu’on ne perçoit pas forcément. On mesure à rebours ce que le concept de « rétablissement » ou de « recouvrance » doit à celui de guérison et combien il permet de faire un saut de côté par rapport à la pression qu’il engendre. Nous noterons que si les dernières phases du rétablissement sont travaillées par ceux qui s’en réclament, l’étape du moratoire a donné lieu à peu de publications. Isolement et contention deviennent ainsi compatibles avec un rétablissement à venir, après, dans un deuxième temps, en laissant de côté la question : comment l’espoir peut-il naître si les premiers jours de traitement sont marqués par un temps de contention et d’isolement, toujours humiliant pour le patient ?
Du côté de la pratique
Si en somatique le passage d’une maladie aigüe parfois mortelle à une maladie chronique est généralement considéré comme une réussite de la médecine, en psychiatrie la chronicisation est synonyme d’échec voire d’erreur ou de faute. Cet écart mérite d’être interrogé. Publié en 1995, l’ouvrage de Barbier montre combien les représentations ont évolué. Outre la montée en puissance de ce qui a pris le nom de « rétablissement », l’éducation thérapeutique du patient a aussi contribué à changer les représentations de la chronicisation des maladies. Chaque année, toutes disciplines confondues on compte plus d’un million de nouveaux malades chroniques. Les personnes suivies en psychiatrie prennent place, à juste titre ou non, parmi ces malades chroniques qui doivent être éduqués, responsabilisés, empowermentés et surtout éviter d’être hospitalisés. Le modèle fonctionne-t-il vraiment ?
Apports de cette lecture aux soignants
Il m’apparaît difficile de travailler en psychiatrie sans avoir mis en travail les questions soulevées par Dominique Barbier, ne serait-ce que celle, furieusement actuelle qui conclut l’ouvrage : « Y a-t-il un bon usage de l’hospitalisation en psychiatrie ? »
Dominique Friard
Notes :
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BARBIER (D), Clinique de la chronicité en psychiatrie, Collection Les empêcheurs de penser en rond, Paris, 1995.
Date de dernière mise à jour : 20/05/2021
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