Deegan P., Mieux composer avec ces voix qui dérangent
Mieux composer avec ces voix qui dérangent
Guide de stratégies et de recommandations à utiliser au quotidien
Patricia Deegan
L’Institut universitaire en santé mentale de Québec a publié, en 2009, un guide de stratégies et de recommandations destiné aux personnes atteintes de maladie mentale qui doivent composer avec des hallucinations auditives. Mieux composer avec ces voix qui dérangent, rédigé par Patricia Deegan, psychologue et schizophrène, est un petit guide de 40 pages (format 5 X 5) qui propose des techniques permettant d’avoir plus de contrôle sur les voix qui dérangent.
« Le rétablissement est un processus, non pas un résultat ou une destination. Le rétablissement est une attitude, une manière d’approcher ma journée et les défis auxquels je fais face. Être en rétablissement signifie que j’ai certaines limitations et qu’il y a des choses que je ne peux pas faire. Mais plutôt que de laisser ces limitations devenir une occasion de désespérer et de renoncer, j’ai appris qu’en étant consciente de ce que je ne peux pas faire, je peux aussi m’ouvrir à toutes les possibilités des choses que je peux réaliser. » (SQS Société Québécoise de la schizophrénie et des psychoses apparentées)
L’auteure
A l’instar d’Anna O. pour la psychanalyse ou de Marie Barnes pour l’antipsychiatrie, Patricia Deegan fait partie de ces usagères qui contribuèrent à changer le regard sur la psychiatrie et les soins. Leur apport au soin est considérable. Tant sur le plan des pratiques que de leurs théorisations.
Deegan a commencé à entendre des voix pendant l’enfance et à l’adolescence, elle a reçu un diagnostic de schizophrénie. A cette époque, elle a traversé une période difficile d’isolement, de diminution de sa motivation et d’indifférence envers ce qui l’entourait. Elle avait alors peu d’espoir d’améliorer sa situation. Elle souligne que sa grand-mère a été très importante, pour elle à ce moment, et l’a aidée à reprendre pied. Ainsi, peu à peu, elle a repris confiance en ses capacités et a commencé à participer activement à son propre processus de guérison et de rétablissement. Dès lors, elle y a travaillé régulièrement en composant avec les symptômes de la maladie, en recevant le soutien de ses pairs, en se prévalant de services professionnels et en faisant usage de médicaments.
Ainsi débute, le fascicule[1]. Patricia Deegan sait de quoi elle parle, elle en a fait l’expérience. Elle ne recommande rien qu’elle n’ait testé elle-même. Elle n’en est pas restée à ce simple savoir expérientiel. Elle l’a mis en travail. Elle l’a théorisé.
Deegan détient un doctorat en psychologie clinique, obtenu en 1984 à l’Université Duquesne, en Pennsylvanie. Sa thèse intitulée « L’utilisation du diazépam dans un effort pour transformer l’anxiété : une enquête phénoménologique empirique » a été menée sous la supervision de William F. Fischer. Deegan est une psychologue phénoménologique dont les écrits comprennent de riches récits autobiographiques de son expérience de vie avec la schizophrénie.
De 1983 à 1987, elle a travaillé comme directrice clinique des programmes d’interventions présents dans la communauté pour le Département de santé mentale du Massachusetts. De plus elle a été cofondatrice du secteur de Développement des ressources et de la formation pour le National Empowerment Center, situé aux Etats-Unis. Elle a été aussi co-directrice de ce secteur de 1992 à 2001. Depuis 2010, elle est professeure auxiliaire à la faculté de médecine du Darmouth College, au département de médecine communautaire et familiale et au Sargent College of Health and Rehabilitation Sciences de l’Université de Boston.
Patricia Deegan est considérée comme l’une des pionnières du mouvement du rétablissement dans le monde. Elle a lutté contre les diagnostics pessimistes, et elle nous parle des stratégies qu’elle a trouvées pour son rétablissement, pour dépasser l’anxiété et divers symptômes (isolement, déformations de la réalité, hallucinations, délires). Le fascicule présenté est un de ses outils.
Elle parle du « rétablissement en tant que processus autogéré de guérison et de transformation ». Elle affirme, à partir de diverses études, que « même 10 ou 20 ans après le diagnostic, les gens atteignent un rétablissement significatif ou complet… Nous ne devrions jamais perdre espoir…Le rétablissement n’est pas le privilège de certains patients exceptionnels… la plupart des gens se rétablissent… »
Patricia Deegan a mené plusieurs travaux de recherche dans le domaine de la santé mentale :
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L’expérience du rétablissement en santé mentale : Dans ce travail, elle explore le rétablissement en santé mentale comme un processus de redéfinition de soi. Elle souligne l’importance des récits de vie personnels dans le processus de rétablissement et comment ils peuvent offrir des pistes reconstructives.
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Personal Medicine : Deegan a développé le concept de « médecine personnelle », qui se réfère à l’activité qui donne un sens ou un but à la vie. Cela fait partie de son approche du rétablissement, qui se concentre sur la personne plutôt que sur la maladie.
Ces travaux ont contribué à changer la façon dont nous comprenons et traitons les troubles mentaux, en mettant l’accent sur le rétablissement et l’autonomisation des individus.
« Garder toujours un carnet et un crayon sur vous. Chaque fois que les voix se manifestent, écrire les informations suivantes dans votre carnet :
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Le moment où elles apparaissent (heure, date, endroit, contexte) ;
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Ce qu’elles disent ;
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Le moment où elles s’arrêtent.
Lire ce que vous avez noté dans votre carnet en tentant de dégager certaines caractéristiques associées à l’apparition de vos voix (par exemple, vos voix apparaissent toujours à la tombée de la nuit). Vous pouvez vous servir de ces informations pour déterminer ce qui favorise l’apparition de vos voix et choisir la stratégie la plus efficace pour vous (par exemple faire jouer de la musique que vous aimez avant la noirceur). » (p.36).
Le fascicule
Il existe bien des stratégies pour composer avec les voix, les hallucinations auditives ou acoustico-verbales, entre celles proposées par « Les entendeurs de voix » (Paul Baker, « Entendre des voix, Guide pratique ») et celles élaborées par Dominique Scheder (qui se présente lui-même comme psychologue, chanteur et schizophrène) et l’infirmier suisse Jérôme Favrod (Favrod Jérôme, Scheder Dominique, « Faire face aux hallucinations auditives »).
Le but de ce fascicule est d’aider l’entendeur de voix à apprendre des techniques lui permettant d’avoir plus de contrôle sur les voix qui le dérangent. Il s’agit ici de vivre avec et non pas de les éradiquer. Ces voix ont un fonction pour la personne qui les entend. Toutes ne sont pas désagréables même si la plupart le sont. Ne plus entendre une voix considérée comme bienfaisante peut être parfois terrible pour certaines personnes. Elles se sentent alors vides, terriblement seules et même se suicident, parfois, pour échapper à cette sensation.
Les voix rendent la plupart des individus angoissés et malheureux. Ces voix commentent les actes, critiquent en permanence la personne, les empêchent de s’apprécier, de travailler efficacement, d’entretenir des relations, etc. Le guide a pour ambition d’aider la personne à ne plus être ou se sentir seule, ni isolée avec son expérience d’entendre des voix. Elle peut prendre position, faire quelque chose afin de se sentir mieux et d’atteindre ses buts personnels.
Le guide décrit des attitudes qui facilitent la gestion des voix :
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Croire que l’on est plus puissant que ses voix,
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Croire que l’on peut exercer une influence sur les voix ;
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Recevoir du soutien.
En plus d’être un outil pour les personnes que ces voix fracassent intérieurement, il peut être utile aux parents, amis et intervenants qui désirent appuyer la personne qui met en pratique ces diverses techniques de contrôle.
Le fascicule est illustré de nombreux dessins réalisés par des ergothérapeutes qui en rendent la lecture agréable et prennent en compte les troubles cognitifs liés à certaines formes de schizophrénie.
Ces stratégies et recommandations peuvent être utilisées, par le soignant, en entretien individuel. La plupart des patients ont mis au point des stratégies plus ou moins efficaces pour lutter contre les voix (écouter de la musique par exemple). Le fascicule permet au patient de les reconnaître, de les nommer, de les évaluer et d’en découvrir d’autres qui pourraient lui correspondre. Les voix et le contenu des messages qu’elles délivrent à la personne cessent d’être cachées pour devenir la matière sur laquelle on travaille. De nombreux soignants répugnent à parler des voix. Ils ont la sensation qu’en abordant ce sujet, ils rentreraient dans le délire du patient. Cet outil montre qu'ils se trompent.
Le fascicule peut également dynamiser des séances d’éducation thérapeutique du patient en groupe. Il est possible de concevoir des programmes directement centrés sur les voix ou d’y consacrer une séance dans un module portant sur la schizophrénie. Dans tous ces cas de figure, chaque participant ayant un exemplaire photocopié du fascicule, la lecture à voix haute et lente des recommandations est le support aux échanges. Les participants constatent d’abord qu’ils ne sont pas seuls à entendre des voix, ce qui enlève un peu de son caractère extraordinaire à l’expérience. L’idée qu’il est possible de les contrôler en partie en est renforcée. Dans ce type de groupe, il y a toujours un moment où les participants parlent entre eux et s’échangent leurs recettes. C’est une expérience passionnante pour des soignants qui acceptent d’apprendre des patients. On se rend compte qu’ils ne font pas que subir mais se battent, adoptent des stratégies, les évaluent et sont en quête de sens. Il est plus facile de les accompagner, de leur proposer des soins en partant de ce savoir que de proposer des réponses « lunaires », eu égard à ce qu’ils vivent. L’expérience de pouvoir contrôler ses voix sans les supprimer est importante. « Lire à haute voix », par exemple ou « jouer de la guitare » est accessible à chacun, mais on ne peut pas tout le temps jouer de la guitare, ni chanter ou lire à haute voix. Désobéir aux voix, se rendre compte que l’on a du pouvoir sur elles améliore l’estime de soi.
Il ne s’agit pas de proposer des réponses qui vaudraient pour tous, Deegan n’est pas psychiatre : « Nous souhaitons que vous essayiez ces techniques afin de voir si elles fonctionnent pour vous. Il n’est pas possible de prévoir ce qui peut aider une personne en particulier. Ainsi, il vous faudra expérimenter les stratégies proposées pour découvrir celles qui vous satisfont le mieux. Peut-être devrez-vous-même en créer qui vous conviendront davantage. »
Du côté des soignants
Cet outil est hélas inaccessible en France.
Il est possible de le commander, moyennant une vingtaine de dollars, aux Etats-Unis directement à partir du site web de l’Institut universitaire en santé mentale du Québec, sous l’onglet Publications. Si vous rencontrez des difficultés à trouver l’option de commande sur le site, je vous recommande de contacter l’Institut pour plus d’informations.
En France, le Centre de documentation du C.H. Sevrey (71) en possède une photocopie, vous pouvez prendre contact avec les documentalistes. Ils sont membres d’Ascodoc.
Dominique Friard
Date de dernière mise à jour : 29/10/2023
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