Hall E.T., La dimension cachée
« La dimension cachée » (1)
Edward T. Hall
Chaque culture a sa façon de concevoir les déplacements du corps, l’agencement des maisons, les conditions de la conversation, les frontières de l’intimité.
" Quand une Américaine veut être seule, elle va dans sa chambre et en ferme la porte. La porte fermée est le signe qui veut dire "ne me dérangez pas" ou "je suis en colère". Que ce soit chez lui ou au bureau, un Américain est disponible du moment que sa porte est ouverte. Il n'est pas censé s'enfermer, mais se tenir au contraire constamment à la disposition des autres."
L’auteur
Edward T. Hall, anthropologue américain, est présenté comme le premier auteur qui ait explicitement écrit sur la communication interculturelle. "Le Langage silencieux", paru aux Etats-Unis en 1959, est considéré, d'une manière générale, comme le premier livre dans le domaine. L'influence de cet ouvrage repose sur le fait qu'il a contribué à définir les priorités du nouveau champ de la communication interculturelle. L’œuvre de Hall repose sur le travail qu'il a entrepris avec une série de collègues, un groupe de linguistes et d'anthropologues au Foreign Service Institute entre 1946 et 1956 dans le but de former les diplomates américains en partance pour l’étranger.
" Butler manie la notion de distance intime avec force et acuité. L'effet de la promiscuité physique, le ton de la voix, la rougeur brûlante de l'angoisse, la façon dont la mère perçoit le trouble de son fils, montrent avec quelle efficacité et quelle concertation la "bulle" personnelle de l'enfant a été pénétrée par la mère."
L’ouvrage
Hall crée le concept de proxémie pour décrire l’ensemble des observations et théories concernant l’usage que l’homme fait de l’espace en tant que produit culturel spécifique. La dimension cachée, c’est celle du territoire de tout être vivant, animal ou humain, de l’espace nécessaire à son équilibre. Mais chez l’homme, cette dimension devient culturelle. Ainsi, chaque culture a sa manière de concevoir les déplacements du corps, l’agencement des maisons, les conditions de la conversation, les frontières de l’intimité. Ces études comparatives jettent une lumière passionnante sur la connaissance que nous avons d’autrui. Les deux premiers chapitres décrivent la régulation de la distance chez les animaux et les modifications du comportement social liées à la surpopulation. Il faut absolument lire le compte-rendu des expériences de Calhoun sur les rats. Les chapitres suivants sont consacrés aux différents sens en tant que base physiologique universelle, à laquelle la culture confère structure et signification. Chaque récepteur sensoriel dessine un espace particulier. Hall décrit ainsi des espaces visuels et auditifs, un espace olfactif, un espace thermique, un espace tactile. Il s’intéresse ensuite plus particulièrement à l’espace visuel, dernier sens apparu chez l’homme. Il éclaire ensuite la problématique de la perception par l’art en différenciant l’art comme histoire de la perception et la littérature comme clé de la perception. A ces deux premiers niveaux proxémiques : infraculturel (lié au passé biologique de l’homme) et préculturel (physiologique), se rajoute un troisième niveau microculturel où se situe la plupart des observations proxémiques. On peut y distinguer trois aspects de l’espace selon qu’il présente une organisation rigide, semi-rigide, ou « informelle ». L’espace à caractère fixe qui constitue l’un des cadres fondamentaux de l’activité des individus et des groupes comprend des aspects matériels, en même temps que les structures cachées et intériorisées qui régissent les déplacements de l’homme sur la planète. L’espace à caractère fixe modèle une grande partie de notre comportement. Le concept d’espace semi-fixe est décrit à partir d’un hôpital dirigé par Osmond et des conversations qui s’y déroulaient ou qui plutôt ne s’y déroulaient pas. Les espaces sociofuges se caractérisent par le maintien du cloisonnement entre individus. Les espaces sociopètes rapprochent et provoquent les contacts. L’espace informel, enfin comprend les distances que nous observons dans nos contacts avec autrui. Hall décrit ses fameuses quatre distances : intime, personnelle, sociale et publique, chacune comprend deux modalités, une proche et une lointaine. Ainsi, par exemple, différencie-t-il la distance intime en mode proche et la distance intime en mode éloigné. On a souvent moqué leur précision centimétrique. Elle ne concernait à l’origine que les Américains blancs aisés. Ces distances varient selon les cultures, les classes sociales. Elles ne sont donc en aucun cas un absolu. La distance intime est celle de l’acte sexuel et de la lutte, celle à laquelle on réconforte et on protège. Le degré de proximité est tel qu’elle constitue une relation d’engagement avec un autre corps. Le covid 19 impacte directement cette proximité-là. La distance personnelle peut être considérée comme une sphère protectrice, une sorte de bulle qui permet de s’isoler des autres. Toute entrée non désirée est perçue comme une véritable intrusion. La distance sociale marque la limite du pouvoir sur autrui. Elle correspond dans son mode proche à la longueur d’un bras. La distance publique est située hors du cercle où l’individu est directement concerné.
Les deux chapitres suivants traitent des systèmes proxémiques chez des peuples de cultures différentes. Ils remplissent un double objectif : mettre en lumière la structure de nos comportements inconscients et contribuer à améliorer nos unités de travail et d’habitation. Les derniers chapitres enfin, se veulent une application pratique de la proxémie à l’habitat urbain et à l’architecture de nos villes.
Du côté de la pratique
Hakim est en colère. Il vocifère contre la psychiatrie qui le rend malade. Nous sommes dans le jardin du Centre de Santé Mentale. Je suis assis de guingois sur un grand pot de fleur. "Vous ne m'écoutez jamais. Vous me regardez comme ça en me disant oui de la tête mais je sais bien que votre coeur dit non". Je remarque qu'il se rapproche et s'éloigne de moi. Les mots les plus violents sont dits quand il est le plus à distance, à plus de deux mètres. Il se rapproche : "Je ne dis pas ça pour vous Dominique mais ...." Il se recule et formule une injure bien verte contre, contre cette psychiatrie qui l'aliène. Ce ballet d'Hakim qui tourne autour de moi dit ce qu'il en est de ce qui se passe entre nous. Il peut être persécuté mais là je ne le persécute pas. Je peux rebondir sur ses propos.
L’intérêt pour les soignant(e)s
Un livre qui se lit d’une traite, mais qu’il vaut mieux lire en groupe, en s’arrêtant, en l’enrichissant de nos remarques personnelles, de nos expériences de soignant. C’est une excellente introduction à une réflexion sur la proximité thérapeutique. Un trésor pour des enseignants d’IFSI. A mûrir également, le constat dressé par Hall que certains schizophrènes ne supportent pas que l’on s’approche trop près d’eux. Tout se passe comme si tout ce qui advient à l’intérieur de leur « distance de fuite » avait lieu littéralement à l’intérieur d’eux-mêmes. Le soignant qui veut éviter d'isoler "ses" patients doit savoir jouer en virtuose des différents types de distance. Il suffit bien souvent de respecter la distance de fuite d'un patient pour qu'il puisse recouvrer son calme.
Dominique Friard
Notes :
- HALL (E.T), La dimension cachée, Editions du Seuil, Paris, 1971.
Date de dernière mise à jour : 20/11/2023
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