Poletti Rosette, Aspects psychiatriques des soins infirmiers
Aspects psychiatriques des soins infirmiers
Rosette Poletti
Un ouvrage qui date un peu mais qui constitue un merveilleux document sur les tentatives de rapprochement du soin psychiatrique et somatique.
« De nombreuses affections du corps se rattachent à des conditionnements d’ordre psychique et parfois psychopathologique ; de manière inverse et encore plus visible, toute maladie physique entraîne des perturbations psychiques aussi bien dans la vie personnelle du patient que dans ses relations avec autrui. »
L’auteure
Rosette Poletti, née en 1938 à Payerne, est une infirmière en soins somatiques et en psychiatrie suisse. Après des études d’infirmière à Genève, elle obtient une « Licence (Master) en Sciences de l’éducation » à l’Université de Genève, puis un diplôme de théologie catholique de la même université. Elle obtient un Master en sciences infirmières, puis un doctorat en sciences de l’éducation à l’Université Colombia de New-York et enseigne à l’Université Pace de New-York où elle effectue des travaux en recherche clinique infirmière, notamment au sujet du deuil, de l’autonomie individuelle et de l’accompagnement de fin de vie.
De retour en Suisse, elle est co-directrice à l’Ecole Supérieure d’Enseignement Infirmier à Lausanne. Par la suite, elle exerce la psychothérapie, anime la rubrique du courrier des lecteurs au journal Le matin, est responsable d’un centre de formation à l’accompagnement des personnes en difficulté et travaille comme experte auprès de l’Organisation Mondiale de la Santé (O.M.S).
On connaît surtout ses publications aux Editions Jouvence avec Barbara Dodd qui traitent tous, de très près ou du moins près, du développement personnel. Elle est aussi une des premières infirmières francophones à s’intéresser aux théories de soin nord-américaines et à les présenter aux éditions Infirmières d’aujourd’hui dirigées par Catherine Mordacq et Yvonne Hentsch[1]. Nous présenterons cet ouvrage dans cette rubrique.
« La relation soignant-soigné est la pierre angulaire des soins infirmiers, elle donne son sens à tout le reste. Elle permet l’approche de l’autre en tant qu’individu unique, toujours nouveau et toujours différent. Elle est indispensable à l’élaboration du plan de soins, car c’est à travers la relation que les besoins du malade pourront être connus et que la collaboration à son traitement pourra être acquise. »
L’ouvrage
Qui voudrait ironiser sur le contenu approximatif voire désuet de l’ouvrage doit se souvenir qu’il a été publié en 1973 par une infirmière qui avait peu d’expérience pratique en psychiatrie. La collection Infirmières d’aujourd’hui des éditions Le Centurion, dont les directrices travaillent, alors, toutes deux à l’EIEIS (Ecole Internationale d’Enseignement Infirmier Supérieur) s’ouvrent à la psychiatrie et demandent à une infirmière qualifiée et dotée d’un solide bagage universitaire de le rédiger. Le but de l’ouvrage est « d’essayer de bâtir un pont entre ces deux formations [somatique et psychiatrique] et d’apporter aux infirmières diplômées d’Etat (ou en soins généraux) quelques éléments de soins infirmiers psychiatriques qui leur soient utiles dans leur tâche quotidienne. »
Le premier intérêt de cet ouvrage est cette tentative de pont entre les deux champs du soin. Il est écrit à un moment où la rupture n’est pas encore consommée. La formation d’ISP existe toujours. Les infirmiers en soins somatiques citent encore les travaux de leurs confrères ISP. Bientôt, à partir de 1992, ils ne le feront plus. C’est un cairn. Il balise le sentier de l’historien du soin et complète le balisage déjà existant, très espacé, en particulier par le brouillard occasionné par l’effacement d’un des champs par l’autre. Il permet de repérer sinon un sommet du moins un moment où le soin pouvait se penser dans ses aspects psychiques et somatiques. Ses imperfections même sont riches de sens. Son usage pour le moins aléatoire des références, essentiellement anglo-saxonnes. Poletti ne cite pas d’ouvrage de Sigmund Freud bien qu’elle le mentionne régulièrement elle met en avant les ouvrages ou des articles de psychanalystes mineurs qui, aux Etats-Unis, détricotent son œuvre. Il nous permet de repérer le moment où le soin en France commence à être envahi par des travaux anglo-saxons, par définition hors sol. Comment faire autrement ? Il n’existe pas de formation universitaire dédiée au soin en France. Les chercheurs prennent des références là où ils les trouvent.
L’ouvrage est conçu en 13 chapitres : Concepts de base, la relation avec le patient (on y cherchera vainement la notion de transfert), la communication, l’anxiété (et non pas l’angoisse), les derniers jours du malade, les comportements hypoactifs ou hyperactifs (et pourquoi ne pas parler de l’humeur ?), le patient suicidaire, le comportement autiste (en fait on y parle surtout de schizophrénie), les comportements méfiants et soupçonneux (on y parle de paranoïa), le comportement social pathologique, le patient toxicomane, le patient âgé souffrant de troubles psychiatriques et la déficience mentale.
Le découpage proposé par Poletti est surtout un découpage comportemental. Paul Bernard et Simone Trouvé dont l’ouvrage Sémiologie psychiatrique est contemporain ont bâti un plan autour des conduites qui s’avère infiniment plus riche. Il est vrai qu’un des ouvrages s’adresse aux ISP et l’autre aux IDE.
La relation avec le patient est pensée en trois phases : orientation/information, travail et terminaison, autrement dit début, milieu et fin, ce qui est un peu court. Ce découpage est repris par de très nombreux auteurs à sa suite. Il est tout aussi insatisfaisant.
Le chapitre consacré au comportement autiste est remarquable dans le sens où il est essentiellement consacré à la schizophrénie qui est tout de même définie par un triptyque : dissociation, délire et autisme. Poletti se réfère à deux ouvrages de Laing (un antipsychiatre anglais qui privilégie les communautés thérapeutiques et considère la schizophrénie comme une sorte de voyage intérieur), à un ouvrage de Dolto qui traite d’un possible cas de schizophrénie infantile mais oublie Bleuler (qui décrit l’entité nosographique) et la totalité des psychiatres français. A la différence de nombre d’auteurs de l’époque, elle met en avant (au moins dans sa bibliographie) deux ouvrages écrits par des usagers. Le rôle infirmier y est dépeint à travers trois points : les besoins de base et de sécurité du patient (gestes quotidiens), les besoins d’amour et d’appartenance, et le besoin de réalisation de soi-même. Encore une fois, même en 1973, c’est un peu court. La notion d’équipe soignante est totalement absente de ce travail. Le lien avec le psychiatre n’y apparaît pas. Evidemment tout n’est pas à jeter. Avec les limites qui sont les siennes et qui, pour partie, découlent de ses qualités, Rosette Poletti essaie réellement de comprendre le soin en psychiatrie, elle s’ouvre aux théories qui permettent de le penser mais faute d’avoir exercé en institution elle éprouve quelques difficultés à relier ces théories et le soin au quotidien. Son ouvrage permet-il à une infirmière de soins somatiques de penser le soin à un patient qui souffre de problèmes psychiques ? Toute la question est là.
C’est en cela que cet ouvrage est intéressant. Il évoque le rôle infirmier en psychiatrie tel que se le représente une honnête infirmière de soins somatiques au bagage universitaire principalement anglo-saxon. On voit bien comment l’egopsychologie commence à marquer son territoire, y compris au niveau infirmier. Une mine d’or pour un historien des idées. C’est à ce titre que nous le présentons ici.
Du côté de la pratique
Il est probable que l’ouvrage a atteint son objectif : bâtir un pont et permettre à sa lectrice, infirmière d’Etat, d’être un peu moins maltraitante avec une personne qui souffre de schizophrénie ou éviter de tenter de convaincre un patient paranoïaque que l’on veut son bien.
Apport de cette lecture aux soignant(e)s
Presque cinquante ans nous séparent de ce livre dont la matière est périssable. On peut penser que l’écart temporel est tel que le soignant n’y trouvera pas de quoi se nourrir. Il peut aussi s’en servir pour mesurer le chemin parcouru par la pensée du soin. Comment formulerions-nous aujourd’hui ce qu’écrit Poletti ? Comment expliquerions-nous les aspects psychiatriques du soin à une jeune infirmière de soins somatiques ? Un exercice intéressant pour une consolidation des savoirs.
Dominique Friard
[1] POLETTI (R), Les soins infirmiers Théories et concepts, Coll. Infirmières d’aujourd’hui, Editions Centurion, Paris, 1989.
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