Potocnjak-Vaillant A., Survivant de la psychiatrie
Survivant de la psychiatrie
Adrien Potocnjak-Vaillant
Avec un avant-propos de Roland Gori
Entre témoignage et enquête, le parcours en psychiatrie d'Adrien qui se bat pour comprendre ce qui lui arrive et donner à chacun de nous des outils pour accompagner au mieux ces guerriers, souvent relégués en psychiatrie.
« Quelques jours plus tard, lors d’une distribution de traitement, je plaisante avec une infirmière. Je suis légèrement dissocié, mais il s’agit bel et bien d’une plaisanterie, il n’y a aucune ambiguïté. L’infirmière me trouve agressif, et sur la base de son avis, je suis enfermé en isolement. « Aggravation de l’état maniaque mégalomane avec agressivité envers les autres et risque de passage à l’acte », écrit-elle dans mon dossier. Une autre illustration du regard que portent les soignants presque caricaturale, et pourtant bien réelle. Bilan, je suis resté vingt-huit jours en isolement. »
L’auteur
Diplômé du Centre Universitaire d’Enseignement du journalisme, de Sciences-Po Grenoble et du Conservatoire de Chambéry, Adrien Potocnjak-Vaillant est aujourd’hui musicien. Il est également auteur de scénarios et de romans. Il a publié quatre ouvrages : « Elévation et chute de la démocratie chilienne dans le miroir du père » (2016), « Porn Redemption » (2020), « Survivant de la psychiatrie » (2021) et « Journal d’une flamme jumelle » (2022).
La notice de Babelio ne mentionne pas qu’il a connu la psychiatrie de l’intérieur. Après des années d’errance sans connaître son diagnostic, il tire de cette expérience un témoignage fort pour demander aux médecins de changer leurs pratiques et de s’ouvrir à d’autres disciplines, car « les hôpitaux sont peuplés de gens qui n’ont rien à y faire ».
On peut entendre une de ses chansons en cliquant sur le lien :
https://www.kisskissbankbank.com/fr/projects/enregistrement-du-deuxieme-ep-de-sayin/tabs/comments
« L’isolement est une expérience extrême dans une expérience extrême. J’ai l’impression que les soignants, médecins et infirmiers ont la main lourde dès qu’il s’agit d’envoyer en isolement. La pièce est presque toujours occupée, et il pèse en permanence la menace d’être enfermé en « iso ». J’enfonce une porte ouverte, mais il faut que ce soit dit : l’isolement est un traumatisme, et il ajoute à la complexité du vécu de l’hospitalisation. Cet « outil » me semble des plus contestables, et pas très loin derrière, il me semble qu'il y a encore le mythe du dangereux patient, du « fou », qu’il faut enfermer toujours plus. Il est surprenant de constater à quel point il fait partie du quotidien du personnel soignant, à quel point ils l’ont intégré. »
L’ouvrage
Ce petit livre relativement court est introduit par Roland Gori et se conclut par l’interview de Claire Gekiere, psychiatre de service public de Savoie, qui apporte quelques réponses aux questions que se pose Adrien.
Adrien Potocnjak-Vaillant décompense une première fois en mai 2008. Il est en train de boucler sa formation de journaliste, à Strasbourg. Hospitalisé en psychiatrie, il commence ce qu’il nomme, rétrospectivement, une « enquête de circonstance », une enquête de douze ans pendant lesquels il vit la psychiatrie de l’intérieur. « L’immersion fait partie de la tradition journalistique. […] De nombreux journalistes ont certainement voulu enquêter sur la psychiatrie, mais il s’agit peut-être d’un des mondes les plus fermés et inaccessibles de notre société. Commencer une enquête en se faisant passer pour « fou » ? Difficile. Peut-on décider rétrospectivement que l’on fait une enquête ? Peut-on transformer son propre vécu en enquête ? Les avis varieront sans doute. Je ne fais là qu’exposer des faits. » Transformer son propre vécu en enquête, n’est-ce pas aussi chercher à faire expérience ? Adrien n’est pas devenu médiateur de santé ou pair-aidant mais il accomplit le même type de démarche. Il s’agit, pour lui aussi, d’intégrer une expérience douloureuse et d’en transmettre la substantifique moelle.
Il existe deux versions de ce texte. La première s’apparentait à un témoignage ; la deuxième (celle que nous lisons) se veut plus distanciée, plus proche d’une enquête. « D’un point de vue personnel, ce texte me sert à digérer cette expérience, et la posture du journaliste m’a permis de prendre du recul avec cette expérience et ce vécu. »
En 17 chapitres courts, Potocnjak-Vaillant raconte son parcours et les réflexions que ses rencontres suscitent en lui. Ainsi en va-t-il du regard du psychiatre. « Il y a eu des entretiens avec des docteurs. On m’a écouté, on a pris des notes. On m’a donné des médicaments. Mais à aucun moment on n’a cherché à savoir qui j’étais, quel était mon parcours avant d’atterrir là. A aucun moment on ne m’a parlé de ce qui m’arrivait. A aucun moment on n’a cherché une explication. » Adrien se sent en position d’objet. Après tout, c’est ce que promeut la loi de juillet 2011 (personne faisant l’objet de soins). « Je me souvins du regard du psychiatre. Il a regardé à travers moi. Il savait sur moi-même des choses que je ne savais pas alors qu’il ne me connaissait pas. Il y a une idée sous-jacente dans le paradigme qui domine la psychiatrie en France à l’heure actuelle, une idée qui veut que le patient ne soit pas capable de comprendre ce qui lui arrive, qu’il ait besoin du spécialiste pour cela, puisque le « patient » n’est pas lucide, lui. Même si ce terme n’est plus utilisé, la vision du « fou », qui par définition ne sait pas ce qu’il fait, définit encore le rapport du psychiatre à ses patients. » Ce n’est pas agréable à lire. On se dit que l’on ne tombe pas dans ce panneau. Surtout si l’on s’estime « orienté rétablissement ».
Il faut laisser cheminer en soi.
Adrien évoque l’après. « Parmi les conséquences de cette expérience, un sentiment de culpabilité. Le psychique relève de l’intime, et les malaises mettent la psyché à nu en provoquant des comportements « inhabituels », parfois dans les lieux publics, parfois devant des connaissances, ce qui est difficile à vivre après coup. […] C’est un peu comme quand quelqu’un a trop bu : il dit et fait des choses qu’il ne ferait pas normalement. Le lendemain souvent, il regrette et a honte. »
La question du diagnostic occupe beaucoup d’espace dans l’ouvrage. Officiellement, il n’est pas donné pour ne pas mettre le patient dans une case. Si l’on consent à lui parler de Bouffée délirante aiguë, on ne va pas plus loin. « Pendant les sept années où j’ai été suivi sans avoir de diagnostic posé, on m’a régulièrement dit, et parfois pire, sous-entendu, que j’étais schizophrène. Lors d’un entretien avec une interne, elle a littéralement voulu me faire dire que j’étais schizophrène. C’était la première fois que je la rencontrais. Aussi, dès ma première hospitalisation, une infirmière m’a également « fait dire » schizophrénie, et on a évoqué ce diagnostic à mes parents. » Après sept ans de suivi, un psychiatre se décide à lui dire qu’il souffre d’un trouble schizo-affectif. Adrien se renseigne, pèse le pour et le contre. « Je constate que cela ne correspond en tout cas absolument pas à ma situation. Je n’ai ni les symptômes de la bipolarité -phases « basses » et phases « hautes » -ni les symptômes négatifs de la schizophrénie- manque d’énergie, émoussement des émotions, retrait social … » Il ne fait là, au fond, que ce que chaque patient fait quand le diagnostic est enfin posé. Ce médecin quittant l’hôpital, il proteste auprès de sa remplaçante qui finit par l’adresser au Centre Expert Schizophrénie de Grenoble. Il va enfin savoir ! Il n’est pas schizophrène ! « J’éprouve un soulagement un peu bête : je ne suis pas schizophrène. Encore une fois, je n’ai rien contre les schizophrènes. Mais la schizophrénie traîne une image déplorable. La bipolarité est plus présentable. J’ai besoin aussi de mettre des mots sur ce qui m’arrive, donc j’accepte ce diagnostic. » Face aux échecs du traitement et à une réhospitalisation, il reprend ses recherches. Il trouve le terme de paraphrénie. « Si les paraphrènes connaissent des pertes de contact avec la réalité comparables à celles que connaissent les schizophrènes, à la différence de ces derniers, entre les « crises », ils ne connaissent pas de symptômes négatifs. Il n’y a pas de troubles cognitifs. Ce n’est donc pas un maladie neurologique au sens fort du terme. » Le lendemain de sa découverte Adrien prend contact avec son infirmière référente et son psychiatre pour leur faire part de sa découverte qui lui donne d’abord de l’espoir. Ce diagnostic laisse ensuite la place à celui de « dissociations » qu’il découvre en thérapie avec Lise, sa psychologue. « Je porte le vécu et les émotions de mon père liés à l’expérience du coup d’Etat et de la dictature au Chili. Je découvrirai après le confinement de mars 2020 et une nouvelle hospitalisation que c’est une des causes de mes dissociations. Je commence durant l’été un travail avec une psychogénéalogiste. »
Qui se préoccupe d’éducation thérapeutique du patient doit absolument lire ce petit livre. C’est un homme qui part à la rencontre de lui-même et de ce que ses racines lui font porter. Il cherche, il cherche à comprendre. Il ne s’agit pas d’asséner un diagnostic mais de l’élaborer pas à pas avec chaque patient, de l’inventer ensemble. Dissociation ou pas ? Peu importe en réalité, et nous n’avons pas les moyens d’en juger. Adrien livre finalement peu de choses sur ce qui lui arrive. La dissociation permet à Adrien de penser ce qui lui arrive, d’y trouver un sens qui relie ses pérégrinations au sein de la psychiatrie et de son système familial. Elle le met en mouvement, elle est dynamique. Donner un diagnostic n'est jamais suffisant. Il faut l'accompagner, le mettre en travail avec le sujet qui en est l'objet, le discuter. Il ne s'agit pas de trouver la bonne case où le ranger mais d'examiner aussi en quoi ce diagnostic ne correspond pas exactement à la personne qui est face à nous. C'est une des façons de permettre au sujet de repérer ses propres ressources, de repérer sur quelles capacités il peut s'appuyer pour lutter contre la maladie qu'il a. Nul doute que les ressources d'Adrien sont grandes.
L’apport aux soignants
Il est majeur. Il arrive, bien sûr, à Adrien d’être très critique vis-vis de l’institution psychiatrique et de ce qu’elle est devenue. Qui ne le serait pas ? La loyauté du soignant va au sujet. Adrien a pu compter sur des proches qui ne l’ont pas abandonné. Parmi ceux qu’il appelle les « Auvergnats » en hommage à Brassens, il y a Lise, sa psychologue qui l’a suivi pendant 8 ans et Caroline, l’infirmière du CMP, présente lorsqu’il n’avait plus d’espoir. « C’est elle qui m’a redonné de l’énergie pour trouver une solution à cette situation qui était alors inextricable. » En tant que soignants soyons des insuffleurs d’espoir, des donneurs d’énergie.
Merci Adrien !
Dominique Friard
Date de dernière mise à jour : 15/10/2023
Ajouter un commentaire