Raimbault G., Parlons du deuil
« Parlons du deuil »
Ginette Raimbault
Un livre-parcours où il s’agit réellement de parler autour du deuil, celui des enfants qui ont perdu leurs parents et celui des parents qui ont perdu leur enfant.
« Ce n’est sans doute pas un hasard si j’ai été attirée par le travail à l’hôpital, dans un service où les enfants étaient atteints de maladies éventuellement mortelles, travail incluant évidemment les familles, mais aussi l’équipe soignante, dont l’intimité avec ces enfants et leurs familles entraîne un attachement profond à ceux dont le départ, ou plutôt la disparition, est prévisible. Il me paraît indispensable de souligner l’importance d’un tel lien, son rôle dans le deuil. Cet attachement contribue au bien-être des malades pendant leur hospitalisation et soutient psychiquement et affectivement, les parents, bien souvent déjà « en deuil ». Mais il a pu aussi, parfois, entraîner chez les soignants, qui prévoyaient et assistaient à ces fins de vie, des effets d’épuisement, de découragement, qu’il est devenu commun de désigner par une formule anglo-saxonne : le burn-out case. » (p.16)
L’autrice
Ginette Raimbault est née à Alger en 1924. Elle s’intéresse, dès 1945, aux problèmes psychologiques de l’enfant malade. Après avoir suivi en France, l’enseignement théorique et pratique de l’Institut de psychologie, elle entreprend des études de médecine. Parallèlement à ses études médicales, elle s’engage dans la psychanalyse, avec Lacan. Elle fait des stages dans différents lieux de prise en charge d’enfants, notamment chez Michaël Balint. Elle entre à l’Inserm et centre d’abord ses recherches sur les problèmes psychologiques qui apparaissent chez l’enfant atteint de néphropathie chronique, à pronostic éventuellement fatal. Les traitements par hémodialyse puis par transplantation chez l’enfant l’amènent à aborder l’étude de ces nouvelles situations thérapeutiques, avec les nouveaux types de relations qui en découlent. Ginette Raimbault, une des pionnières pour ses recherches sur le sentiment de mort chez l’enfant, va ainsi jouer un rôle moteur dans la transformation des pratiques médicales face à ces thérapeutiques nouvelles et lourdes. L’importance et le caractère novateur des travaux de Ginette Raimbault amènent l’Inserm à créer, en 1976, l’unité de recherche 158 qu’elle va diriger.
En 1980, un centre de consultations gratuites de psychanalyse est ouvert au sein de l’unité, le « Centre de recherche psychanalytique », à l’hôpital des Enfants malades - Clinique Robert Debré.
Ginette Raimbault a été une défricheuse, en introduisant, dès la fin des années 1970 la notion de prise en compte de la relation soignants/soignés dans les services de néphrologie, endocrinologie, gastro-entérologie, génétique… pédiatriques, services mettant en œuvre des traitements lourds et traumatisants pour l’enfant et son environnement familial.
Qui voudrait en savoir plus sur cette femme pionnière, pourra lire son autobiographie intellectuelle « Qui ne voit la grâce », une série d’entretien menée par la psychanalyste A. Feissel-Leibovici. (2)
« Quant au « savoir sur la mort », il me semble qu’enfant et adulte n’en pensent ni plus, ni moins. Dès qu’il parle, l’enfant n’est ni plus ni moins ignorant que l’adulte. Le statut est le même pour l’enfant et l’adulte qu’il va devenir. Encore une fois, la mort est un réel incontournable. Pour nombre d’entre nous, s’opère effectivement une désintégration des défenses, surtout, peut-être, pour ceux qui sont dans une solitude extrême. Mais ce que chacun a fait de sa vie, l’idéal qu’il a pu se forger, tout cela contribue à faire de ce moment-là le moment d’une réalisation de soi. La mort -notre destin- est-elle le « fléau » le plus insupportable ? L’infirmité, l’exil, la folie peuvent être autrement insupportables, au point que certains préfèrent se donner la mort. » (pp. 64-65)
L’ouvrage
L’ouvrage porte bien son titre. Parlons du deuil, n’en faisons pas quelque chose de tabou, et parlons-en avec les endeuillés et notamment s’il s’agit d’enfants. La parole structure cet écrit dont le plan flotte un peu mais qui est littéralement porté par les paroles autour du deuil, qu’il s’agisse d’extraits d’émissions radiophoniques, de lettres d’un filleul, de témoignages d’endeuillés ou de réflexions personnelles de l’auteur. On retrouve, parfois, au fil des pages, la merveilleuse simplicité d’une Françoise Dolto.
L’ouvrage débute par l’évocation de ses propres deuils, pertes qui constituent son histoire familiale. Elle doit à Lacan, dit-elle, d’avoir repris pied dans la vie quotidienne. Si le deuil est un cataclysme intérieur, pour reprendre l’expression de Freud, il peut être aussi le moteur d’une vocation qui mène à la rencontre d’enfants « atteints de maladies éventuellement mortelles ». Attention, l’auteur évoque son deuil mais à travers de nombreux points de suspension. On ne trouvera pas ici de complaisance dans le malheur.
Niobé, mortelle symbole du deuil pour la mythologie est invoquée. Pour s’être moquée de la mère d’Apollon et d’Artémis, elle perd ses sept fils avant de se métamorphoser en rocher qui verse des larmes de neige au printemps. L’auteur nous fait partager le deuil de la reine Victoria, lorsque la mort du prince Albert anéantit sa vie de femme. Si toute la Grande-Bretagne fut crêpée du noir d’un deuil national, c’est grâce à l’écriture et surtout grâce au partage de ses émotions avec une autre veuve du peuple que Victoria put se reconstruire psychiquement.
Lorsque l’on perd un enfant le traumatisme est parfois tel qu’il rend toute parole parfois tellement pris par leur souffrance qu’ils en oublient les enfants qui survivent. Il est conseillé aux parents de parler à leurs enfants de cette perte au moment où elle se produit. Ce partage de l’épreuve crée une sorte de complicité qui renforce les liens entre tous les membres de la famille.
Toutes les cultures n’affrontent pas la perte de la même façon. Ainsi en Afrique, la principale angoisse autour de la mort d’un petit est-elle qu’il se retrouve seul de l’autre côté. Si quelqu’un, dans l’au-delà, peut s’occuper de l’enfant comme si c’était le sien, tout rentre dans l’ordre.
A partir du témoignage de François, filleul de l’auteur, sont évoquées les conséquences du deuil sur les jeunes enfants. Contrairement à ce qui est dit, les enfants ont une capacité certaine à intégrer les notions de mort et de deuil même lorsque le décès est dû au suicide d’un parent. Le silence des proches et ce qu’il renvoie de déni de la perte à l’enfant fait infiniment plus de dégâts psychologiques que la perte elle-même.
« Ce que les enfants gravement atteints dont le destin est prévu selon les aléas de leur maladie, disent spontanément, par le truchement d’histoires inventées, de rêveries, ou de façon allusive, avec des références à leurs compagnons, c’est la connaissance intime de leur avenir (ou plutôt non-avenir). Ce qu’ils manifestent, dès le plus jeune âge, c’est le désir d’être avec l’autre. C’est un désir tel, d’ailleurs, qu’ils peuvent le masquer, le garder comme un secret enfermé dans leur cœur ou leur âme. Bien souvent, il s’agit, pour eux, de protéger l’autre, en respectant, eux, ce que les adultes, leurs parents surtout, leur racontent. Pour garder cette présence de l’autre qui leur est indispensable, au point que sans elle ils seraient déjà « morts », ils vont jusqu’à ne rien dire de leur vécu, de leur angoisse, à celui ou à celle dont ils dépendant et dont ils redoutent la séparation. A un moindre degré, c’est souvent la même attitude qu’ils adoptent avec les médecins et les soignants, dont ils voient et savent le sentiment d’impuissance qui se trahit à travers des propos enjoués et un « faire comme si tout allait bien » ou « tout ira bien … demain » (p.118)
L’intérêt pour les soignants
C’est un petit livre à lire tranquillement. Les chapitres, courts, permettent à un groupe de les présenter, de s’approprier leur contenu, de réfléchir ensemble au deuil et à ses conséquences. Après cette lecture collective, les futures infirmières, et les infirmières en poste auront davantage la capacité d’accompagner les mourants et leur famille. Accueillir l'expérience aussi douloureuse soit-elle, et ne pas chercher à (se) rassurer par un soutien verbal qui rate toujours sa cible.
Dominique Friard
Notes :
1- RAIMBAULT (G), Parlons du deuil, Payot, Paris, 2004.
2- RAIMBAULT (G), FEISSEL-LEIBOVICI (A), « Qui ne voit que la grâce », Payot, 2006.
Date de dernière mise à jour : 19/11/2024
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