Raphaël C., S'ils n'étaient pas si fous
« S’ils n’étaient pas si fous »
Claire Raphaël
Vous avez à cœur de lutter contre la stigmatisation de la schizophrénie ? Vous ne savez pas comment vous y prendre. Faites un acte citoyen : achetez et lisez ce polar qui propose une tout autre image, beaucoup plus juste, de la schizophrénie et des soins qu’elle implique.
« Caro, tu viens avec moi, on va chez la fille.
- La fille ?
- La victime a une fille qui souffre de schizophrénie.
- Cela en fait une suspecte ?
- Elle habite juste à côté, elle est suspecte, oui. Schizo ou pas, on va la secouer.
- Si elle est en état de nous répondre.
- Elle le sera. »
Ils se lèvent sauf Etienne.
-Mon frère est schizophrène, dit-il. […]
- Vous pouvez pas la secouer. La mort de sa mère ça risque de la faire décompenser ; de la faire rechuter, on ne peut pas la secouer, c’est une victime, la victime d’un mal atroce ! Parce que la schizophrénie, c’est une maladie qui suce le sang, qui prend toutes les forces, la volonté, ça prend même la parole, certains n’arrivent même plus à s’exprimer, mon frère il ne fait rien, rien, il passe ses journées à jouer à des jeux idiots, des jeux vidéo, comme un gosse, il était étudiant en maths, toujours le premier, il voulait faire un doctorat, faire de la recherche fondamentale et … » (pp. 25-26)
Claire Raphaël est née à Meudon, en 1970, d’un père arménien et d’une mère française. Passionnée de littérature, de poésie et de prose, elle écrit depuis l’âge de 18 ans mais choisit d’exercer un métier technique et scientifique : elle est ingénieure au sein de la Police Nationale. Aussi lorsqu’elle raconte une enquête, la recherche des indices elle sait de quoi elle parle pour l’avoir vécu. Elle n’a pas besoin d’aller loin pour chercher des anecdotes, des couleurs, des odeurs. Là, n’est pas sa principale originalité, nombreux sont les policiers qui se lancent dans l’écriture de polars. Ses deux premiers romans policiers « Les militantes » (2020) et « Les gagneuses » (2021), tous deux publiées aux éditions du Rouergue, sont consacrés aux violences faites aux femmes. Sa principale originalité repose sur son refus de contribuer à la stigmatisation de la schizophrénie et de la folie en général. Chez elle, pas de serial killer aux crimes tous plus fous les uns que les autres. Ses cadavres ne sont pas coupés en petits morceaux. Claire connait la psychiatrie, elle anime des ateliers écritures dans des CMP et autres CATTP et ça se sent.
« Je buvais un jus de pamplemousse et un homme s’est approché de moi, c’était le père de Nicolas, il s’est présenté […]
- S’ils n’étaient pas si fous, ils pourraient faire des choses formidables, m’a-t-il dit brutalement.
- Il faudrait peut-être qu’ils se fixent des objectifs raisonnables ?
- Mais non, cela ne marche pas comme cela, c’est ce qu’on croit au début, ce que les médecins conseillent, mais non, cela ne marche pas, j’ai voulu imposer cela à Nicolas, je l’avais fait embaucher par la mairie, dans les jardins, jardiner c’est un beau métier, je voulais qu’il sorte un peu, il passait son temps dans son atelier de peinture à faire de grandes toiles, très sombres, des visages tordus, mangés par des couleurs de terre et de sang, c’était sa patte, il ne faisait que répéter cela, le monde est fait de terre et de sang, il réussissait d’ailleurs de belles associations entre toutes ces couleurs … enfin bref, j’ai pensé qu’il fallait qu’il sorte de ses obsessions, il avait vingt-trois ans, il était temps qu’il apprenne à se confronter au monde, au monde professionnel, je lui ai donc imposé de prendre ce travail et trois semaines plus tard, il se tranchait la gorge.
- Pourquoi ?
- Je ne sais pas. » (p.279).
L’ouvrage est un polar, un polar tout ce qu’il y a de plus classique avec un meurtre (une femme est tuée d’un coup de feu dans la nuit). Le roman se passe dans une banlieue parisienne un peu grise mais plutôt tranquille. Il y a les enquêteurs : Ludovic Marchand-Thierry, un flic expérimenté, Etienne, un jeune policier, dont le frère, nous l’avons vu souffre de schizophrénie, Alice Yekavian, ingénieure de la police scientifique, qui saura, elle, faire parler les armes, leur faire dire la vérité. Il y a Amélie, la fille unique de la victime, atteinte de schizophrénie qui s’accuse du crime mais décrit une scène incompatible avec les éléments recueillis par les enquêteurs. Il y a un CMP où un groupe de patients/usagers se retrouve chaque semaine pour un atelier Ecriture, il y a un psychiatre, un pair-aidant. Il ne s'agit pas d'un ouvrage militant qui défendrait je ne sais quelle thèse mais d'un roman noir qui décrit la réalité sociale et psychique dans laquelle les personnages se débattent et tentent de survivre. D'abord un polar donc. Je n'en dirai pas davantage pour éviter de divulgâcher.
Allez-y voir …
Un ouvrage salutaire, comme il en existe trop peu, qui non seulement ne hurle pas avec des loups, toujours prompts à associer schizophrénie et violence, soins et enfermement mais aussi contribue à modifier l’image de la schizophrénie. Même si vous n’aimez pas les polars, achetez-le, vous ferez une bonne action et contribuerez à montrer que la schizophrénie, les troubles psychiques c’est une réalité autre que celle dépeinte par les médias et les hommes politiques qui s’en nourrissent.
Dominique Friard
Date de dernière mise à jour : 24/07/2023
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