Wilder F., Margarethe Hilferding. Une femme chez les premiers psychanalystes
Margarethe Hilferding
Une femme chez les premiers psychanalystes
Françoise Wilder
Le portrait d'une femme engagée et généreuse, première femme docteur de l'Université de Vienne et première femme admise à la Société Psychanalytique de Vienne en 1910.
« En 1904, la revue Neue Frauenleben (« Nouvelles vies féminines ») annonce : «
Le 24 décembre 1903, Melle Margarethe Hönigsberg est devenue docteur en médecine. Elle est la première à avoir passé son doctorat en tant qu’auditrice ordinaire à l’université de Vienne. Tous les enregistrements antérieurs de femmes au doctorat de médecine concernent des doctorats soutenus à l’étranger » […]
Eugénie Strasser rapporte une confidence de Margarethe : le cours d’anatomie se déroulait autour du cadavre d’un homme. Le professeur demande : « Mademoiselle Hönigsberg, prenez dans vos mains ce pénis », et de se moquer avec la complicité des autres étudiants, tous garçons. « Ah ! On voit que vous n’entendez rien au corps des hommes, Mademoiselle ! »
L’auteure
Françoise Wilder est psychanalyste, elle a publié un premier ouvrage, en 2004 : Un provocant abandon », chez Desclée de Brouwer. Le livre écrit autour de la vie sexuelle de Catherine M. est rédigé à partir d’entretiens menés avec Catherine Millet de juin à novembre 2001. Elle y observe que la parole tenue par Catherine M. n’a guère semblé intéresser les psychanalystes. « Comment se fait-il que le langage de l’abandon, de la disponibilité et de l’effacement des volontés se retrouve le même, de siècle en siècle, alors que les lieux d’adresse en sont distincts ? […] Comme si, de la religion du salut à la religion du sexe, les hérésies se répondaient. »
Ce nouvel ouvrage, publié en 2015, est également consacré à une femme : Margarethe Hilferding-Hönigsberg (1871-1942), première femme docteure en médecine de l’Université de Vienne et surtout première femme à être admise, en avril 1910, à la Société psychanalytique de Vienne, où les premiers psychanalystes mettaient leurs travaux en commun autour de Sigmund Freud et en débattaient.
J’ai rencontré Françoise Wilder lors d’une soirée organisée par l’association Le Point de Capiton. Voisins de table, nous avons discuté de cet ouvrage dont l’écriture constitue une aventure passionnée qui relève quasiment de l’archéologie tant sont peu nombreuses les traces laissées par Margarethe, peu nombreuses et surtout peu exploitées. Elle trouve une première mention de Margarethe Hilferding, dans une note de la revue L’Impair (Numéro 2-3, 2001), « Le sexe incertain ». Simone Molina, elle-même psychanalyste, et présidente du Point de Capiton, en est l’auteure. Fin 2004, commence alors une quête d’autant plus complexe que Françoise Wilder ne lit pas l’allemand. Ce sont les étapes de cette quête qu’elle m’a narré lors de ce dîner. J’y ai été d’autant plus sensible qu’à Serpsy, nous nous mobilisons pour sortir de l’oubli Gertrud Schwing, la première infirmière psychanalyste à être admise dans cette même société.
« Il arrive fréquemment que des mères, qui s’étaient beaucoup réjouies à la perspective d’avoir un enfant, soient extrêmement déçues à la naissance de celui-ci et soient dans l’incapacité d’éprouver ce qu’on appelle de l’amour maternel. Mais si ce sentiment se manifeste tout de même plus tard, on a l’impression que son apparition n’a pas tant été déterminée par des facteurs physiologiques que psychologiques : une certaine compassion, la convention qui exige de la mère un certain amour, etc. »
L’ouvrage
Les oubliées de l’histoire sont légion et l’inventaire n’en sera jamais totalement fait. Celles d’entre nous qui ont été (ou sont) infirmières en savent quelque chose. Françoise Wilder nous propose un récit engagé et vivant qui retrace donc le parcours et le destin de Margarethe Hilferding pionnière dans les études médicales et philosophiques à Vienne dans les années 1900. Elle est aussi la première femme admise à la Société Psychanalytique de Vienne en 1910, bien avant Sabina Spielrein et Lou Andreas Salomé.
Françoise Wilder n’est pas historienne, son récit n’a pas la rigueur d’un ouvrage universitaire. Sa biographie n’est pas orthodoxe. Elle le revendique. Tout au fil de l’ouvrage, elle apparaît, s’interroge, commente les rares photographies retrouvées. Elle cherche et fait part au lecteur de ses doutes, de ses hypothèses.
On sait finalement peu de choses du parcours de Margarethe. Sa face publique. Les lieux où elle a exercé, un recueil de poèmes, quelques écrits théoriques et politiques. Une femme engagée c’est certain, tout autant dans un registre politique notamment du côté de la libération des femmes que clinique et hygiénique. Quelle sorte de femme était-elle ? Comment pensait-elle ? Que ressentait-elle ? Nous n’en savons rien. Ce regard d’une femme psychanalyste sur une autre femme psychanalyste est éclairant même s’il n’emporte pas à chaque fois notre adhésion. Il nous fait constamment nous interroger. Nous avançons sans certitude.
Le centre de l’ouvrage est l’admission à la Société Psychanalytique de Vienne. C’est un choix. Son divorce avec son mari, l'économiste marxiste Rudolf Hilferding, devenu ministre des Finances sous la République de Weimar (1928-29) et ses conséquences affectives, politiques et psychiques aurait pu en être un autre. Encore eût-il fallu pouvoir le soutenir.
Wilder réveille tout un monde autour de la figure de Margarethe qui est issue d’un milieu juif favorisé et instruit. Elle a grandi au milieu des futurs analysants de Freud. Elle est notamment proche d’Ida Bauer, la Dora de Freud.
Engagée politiquement au parti socialiste, elle y rencontre son futur mari. Elle travaille comme médecin au service de gynécologie hospitalier et en cabinet privé puis de retour de Berlin elle soigne les plus pauvres. On retrouve dans cette partie l’atmosphère décrite par Florent Gabarron-Garcia dans son « Histoire populaire de la psychanalyse », présentée dans cette rubrique. Une psychanalyse engagée dans les luttes sociales des années 20, qui se soucie de la misère qu'elle soit sexuelle, économique ou de genre.
Sa première (et sa seule) contribution théorique, à la Société Psychanalytique de Vienne portait sur l’amour maternel qu’elle décrivait comme n’ayant rien d’inné. Idée que reprendra 70 ans plus tard Elisabeth Badinter dans son best-seller publié en 1980 : « L’amour en plus : Histoire de l’amour maternel, XVII—XXème siècle ».
Margarethe meurt, en 1942, le jour de son arrivée à Treblinka. Privée de domicile, dépouillée de tous ses biens par les nazis, elle n'avait avec elle, qu'un sac contenant le nécessaire pour pouvoir soulager ceux qui en aurait nécessairement besoin, là où, elle allait.
Le portrait d’une femme généreuse et passionnée qui n’a jamais cessé de se battre …
Dominique Friard
Date de dernière mise à jour : 18/09/2022
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