L'infirmier psychiatrique Eléments d'histoire
L’infirmier de secteur psychiatrique
Eléments d’histoire
Du gardien de fou à l’infirmier de secteur
L’infirmier de secteur psychiatrique est l’héritier des «gardiens de fous » qui travaillaient dans les asiles et qui suscitaient autant que leurs patients méfiance, peur et rejet. Cette aura négative suivra les soignants en psychiatrie malgré les modifications, les changements importants qui vont se succéder dans leur formation.
1) Jean Baptiste Pussin
Pourtant ces infirmiers ont aussi comme ancêtre des hommes comme Jean Baptiste Pussin (Lons le Saunier, 1746 Paris, 1811) premier gardien-surveillant humaniste qui a poussé les médecins à enlever les chaînes des malades.
Il fut surveillant à Bicêtre, après y avoir été admis comme malade (tuberculose). Progressivement, il se trouve promu au poste de surveillant dans le service des aliénés (1). Lorsque Philippe Pinel (1745-1826) prendra ses fonctions de médecin-chef en 1793, il y découvre un surveillant, Jean Baptiste Pussin chef de la police intérieur des loges, appelé encore gouverneur des sous employés, travaillant depuis 1794, qui se distingue à la fois par ses qualités humaines et sa compétence à gérer la folie en institution.
Jean-Baptiste Pussin et sa femme ont déjà commencé les réformes humanitaires ayant pour objectif de supprimer cette "coutume barbare de l'usage des chaînes" pour les aliénés.
Il est le père symbolique de l’infirmier en psychiatrie. C’est un homme qui a pu, grâce à des compétences relationnelles réelles obtenir une reconnaissance de son médecin Philippe Pinel qui a remarqué que les «aliénés » traités avec humanité par Pussin et délivrés de leurs chaînes par celui-ci réagissent beaucoup mieux quand ils ne sont pas entravés. Ils travaillent ensuite tous les deux à La Salpêtrière.
Esquirol (médecin théoricien à l’origine de la loi de 1838 sur les aliénés) et Scipion Pinel attribuent ce premier geste inaugural de la psychiatrie moderne à Philippe Pinel. Gladys Swain (2) montre que c’est Jean Baptiste Pussin qui a le premier a enlevé « les chaînes » des aliénés, elle a pour cela fait une lecture attentive des écrits de ce dernier qui exprime clairement sa reconnaissance à Pussin.
Pussin fut également le premier surveillant à écrire des observations sur les personnes qu’il avait en charge.
A la mort de Pussin, les médecins nomment un des leurs Jean Etienne, Dominique Esquirol (1772 1840) à sa place. C’est un médecin qui prend la place du surveillant car les attributions des surveillants sont jugées trop étendue. Ils sont alors exclus de la relation malades-médecins et retournent au statut de serviteurs.
Esquirol précise dès lors que « tous les domestiques doivent obéir sans réplique devant leurs malades ; ils doivent céder aveuglément cette obéissance inspire un esprit de docilité qui tourne à l’avantage du malade »
2) De Pussin à l’infirmier travaillant en psychiatrie
Jusqu’au début du XXème siècle, les personnels s’occupant des aliénés étaient considérés encore comme gardiens de fous, ceux qui se devaient de garder, de surveiller les insensés.
Ils vivaient à l’intérieur des murs, et presque rien ne les distinguait des aliénés. Le recrutement était plutôt axé sur la «corpulence physique ». Certains patients stabilisés devenaient eux-mêmes gardiens.
Pendant de nombreuses années, ces personnels sont nourris et logés à l’hôpital, doivent rester célibataires et partagent totalement la vie de ceux qu’ils gardent. Leur statut en est d’ailleurs bien proche.
En 1788, Tenon, membre de l’Académie Royale des Sciences parle des gardiens, de «véritables gardes chiourmes » issus des plus basses classes de la société. Les gardiens sont aussi mal considérés que leurs patients, et ils se livrent à la violence et l’alcoolisme.
Nous pouvons toutefois noter que dans tous les documents officiels de la Maison de Charenton, le terme de gardien (3) n’apparaît plus depuis 1801.
Tous ces gardiens sont pour la plupart illettrés, dans l’incapacité de signer eux-mêmes les reçus de leurs gages.
En dehors de ces documents, la lutte est grande entre les termes et au congrès des aliénistes en 1901 à Limoges, la question est encore posée « Y-a-t-il lieu de remplacer les mots de gardiens par ceux d’infirmiers ? »
En 1907, une revue de psychiatrie publie une grande enquête sur le « no restraint» (4). Le nombre et la qualité des infirmiers (5) y sont évoqués comme condition de la réussite de cette approche thérapeutique. En effet, les promoteurs du «système de la douceur » considéraient qu'il fallait compenser les défauts de sécurité par une «dépense d'énergie considérable » pour le personnel et par une forte augmentation du nombre des gardiens.
L’impulsion d’un courant désaliéniste après la seconde guerre mondiale, représenté par des psychiatres tels les docteurs Daumézon et Bonnafé vise à la déségrégation de la maladie mentale. Les gardiens de fous disparaissent enfin.
Il est à noter que les infirmiers avaient déjà exercé un autre métier avant d’entrer à l’hôpital et en faisaient profiter les malades en créant des ateliers. En 1947, les infirmiers sont formés aux techniques artisanales, ce sont les prémices de l’ergothérapie.
3) De l’infirmier travaillant en psychiatrie à l’infirmier de secteur
Le processus de professionnalisation se met en place dès 1955 avec le premier diplôme national d’infirmier des hôpitaux psychiatriques. Appelés en 1969 infirmiers de secteur psychiatrique, ceux-ci accèdent à une formation beaucoup plus importante dès 1973. Mais ils ont un droit limité d’exercice à certains établissements et services.
Ces infirmiers (6) de secteur psychiatrique ont un rôle qui se définie en cinq axes :
- le soin auprès des personnes présentant des troubles psychiques dans ses dimensions somatiques et psycho-affectives ;
- l’utilisation et la maîtrise de la relation avec la personne souffrante ;
- l’ouverture sur la communauté ;
- l’observation de la personne ;
- la gestion d’un paradoxe car la législation nous oblige à gérer un paradoxe incontournable qui fait l’originalité de notre profession être à la fois soignant et gardien de fous pour la société.
Grâce à des formations de plus en plus pointues, complémentaires et multiformes, nous pouvons voir apparaître des infirmiers de secteur psychiatrique spécialistes des thérapies familiales systémiques, d’autres animer des groupes sociothérapeutiques, d’autres s’occuper d’appartements thérapeutiques, certains se spécialiser en gérontologie, d’autres en pédopsychiatrie. Cette période est extrêmement riche d’expériences qui ont amené la psychiatrie vers des transformations importantes.
4) De l’infirmier de secteur à l’infirmier diplômé d’Etat
Depuis 1992, le diplôme d’infirmier de secteur psychiatrique a disparu. Reste désormais en France, un diplôme unique d’infirmier, il s’agit du diplôme d’infirmier d’Etat. (IDE) L'article L. 473 du Code de la Santé publique donne une définition de ce qu’est un infirmier est «considérée comme exerçant la profession d’infirmier, toute personne qui, en fonction des diplômes qui l’y habilitent, donne habituellement des soins infirmiers sur prescription ou conseil médical ou bien en application du rôle propre qui lui est dévolu. »
En 1978, la loi n°78-615 modifie cet article du code de la Santé publique en rajoutant : « En outre l’infirmière ou l’infirmier participe à différentes actions notamment en matière de prévention, d’éducation de la santé et de formation ou d’encadrement ».
L’infirmier donne donc des soins infirmiers sur prescription médicale, c’est-à-dire que le médecin lui donne des instructions claires sur ce qu’il doit mettre en œuvre pour les soins à donner à un patient. Le décret dit «de compétence » qui désormais fait partie du code de la Santé publique en fait une longue liste.
Il donne également des soins infirmiers en application de son rôle propre. Celui-ci s’entend comme le domaine spécifique de la profession infirmière dans lequel lui sont reconnues une autonomie et la capacité de jugement et d’initiative. Dans ce cadre-là, il est responsable de ses actes et devra noter dans le dossier de soin infirmier tous les éléments relatifs à son rôle propre et permettant le suivi des patients.
Le décret n ° 93-221 du 16 février 1993 établit une sorte de "code de déontologie infirmière", il concerne les actes professionnels et l'exercice infirmier.
L'exercice (7) de la profession d'infirmier comporte l'analyse, l'organisation, la réalisation de soins infirmiers et leur évaluation, la contribution au recueil de données cliniques et épidémiologiques et la participation à des actions de prévention, de dépistage, de formation et d'éducation à la santé. Dans l'ensemble de ces activités, les infirmiers sont soumis au respect des règles professionnelles et notamment du secret professionnel. Ils exercent leur activité en relation avec les autres professionnels du secteur de la santé, du secteur social et médico-social et du secteur éducatif.
5) Quels métiers pour l’infirmier qui travaille en psychiatrie ?
Les infirmiers diplômés de secteur psychiatrique sont depuis 1992 une profession en cadre d’extinction.
Une lutte syndicale et associative est née, elle conteste le bien-fondé du regroupement des deux formes d’infirmerie et demande à ce que les infirmiers diplômés d’Etat bénéficient d’une spécialisation s’ils veulent travailler en psychiatrie. Un groupe de travail est actuellement en place au Ministère de la santé pour réfléchir à une formation complémentaire.
Par ailleurs, l’évolution actuelle de la psychiatrie publique montre que les situations de travail des infirmiers vont encore fortement évoluer dans les années à venir.
L’évolution de la demande de soin évoque un élargissement dans le domaine de la santé mentale.
Le rapport du groupe de travail (8) relatif à «’évolution des métiers en santé mentale » en donne d’ailleurs les grandes lignes et en définissant la profession comme rôle pivot dans :
- la prise en charge du patient et de sa famille ;
- le développement et l’animation d’activités médiatisées ;
- les techniques à visées psychothérapiques ;
- la référence du suivi médical au long cours ;
- la prise en charge des soins d’accompagnement ;
- la mise en lien entre le patient et les différents intervenants.
Anne-Marie Leyreloup, 2003.
BIBLIOGRAPHIE :
1.THUILLIER (J), La folie, Histoire et Dictionnaire, Bouquins, Laffond,1996, page 703.
2. SWAIN (G), Le sujet de la folie, Privat, 1977.
3.JAEGER (M), Garder, Surveiller, Soigner, Essai d'histoire de la profession d'infirmier psychiatrique, Cahier VST, Cemea, 1990.
4. Approche thérapeutique née en Angleterre qui met en avant trois modalités d'action thérapeutique : les " amusements " (fêtes, bibliothèque, excursions), les " occupations " (travail des malades, jardinage...) et " l'association harmonisée ".
5. JAEGER (M), L'histoire des infirmiers en psychiatrie et la dimension européenne - Congrès européen, Ascism, 21 novembre 2001. Compte rendu sur le site http://www.serpsy.org.
6. HOCHER (S), Assises des infirmiers en psychiatrie, in Soins Psychiatrie, pratique et savoirs infirmiers, n°177, 1995, p.7.
7. Décret n°2002-1942 du 11 février 2002 relatif aux actes professionnels et à l'exercice de la profession d'infirmier article.
8. Rapport du groupe de travail présenté au comité consultatif de santé mentale du 11 avril 2002 " l'évolution des métiers de la santé mentale : Recommandations relatives aux modalités de prise en charge de la souffrance psychique jusqu'au trouble mental caractérisé. " DGS, sous-direction de la santé et de la société, bureau de la santé mentale.
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