Vanessa m'agace
Vanessa m’agace
Vanessa, une adolescente de 17 ans à l'enfance violée, agace Jessica l'infirmière, et met en échec l'équipe de cette unité spécailisée dans les soins aux adolescents. Jessica tire partie d'une formation à la consolidation des savoirs pour redécouvrir l'histoire et le parcours de Vanessa mais son travail n'aboutit pas toatalement. Si son regard change, celui de l'institution et de ses cadres reste identique.
Le cas de Vanessa me pose problème. Je n’ai pas de situation particulière. Tout ce qu’elle met en place, le fait qu’elle tourne en rond et parvient à me faire tourner en rond, tout cela fait que je me sens en difficulté dans sa prise en charge.
Elle vient chercher mes limites. Elle m’use. Dans sa prise en charge, depuis plus de deux ans, tout se répète. Elle m’use par ses multiples demandes et par ses somatisations.
Elle est très prévisible, on sait déjà ce qu’elle va dire avant de commencer l’entretien ; d’ailleurs souvent les entretiens se terminent comme ils ont commencé. Quelques minutes plus tard, elle redemande un entretien, le plus souvent à quelqu’un d’autre. Elle multiplie les interlocuteurs et doit souvent être reprise sur le rôle de chacun des intervenants.
Je ne sais plus comment réagir, ni quoi lui répondre. Elle suscite au mieux de l’indifférence, mais le plus souvent de l’agacement, voire de l’énervement. Elle l’entend dans mes réponses. Je trouve son aspect repoussant. Je la rejette.
Je mets de la distance quand elle recherche de la proximité. Elle me met toujours dans la position de la mauvaise mère ce qui ne me gêne pas en soi mais me met en échec. J’ai du mal à rester soignante avec elle.
Son histoire
Vanessa est une jeune fille de dix-sept ans hospitalisée dans notre unité pour adolescents depuis un peu plus de deux ans pour troubles du comportement.
Elle est la deuxième d’une fratrie de quatre (Mélodie 20 ans, Vanessa 17 ans, Marc 11 ans et Olivier, 8 ans). Elle a grandi dans une famille très carencée, elle est suivie par les services sociaux depuis 1986. Sa mère, âgée d’une quarantaine d’années est au foyer et suivie au CMP local pour une psychose ; son père, un peu plus âgé, est sans emploi et également suivi au CMP pour alcoolisme chronique. Il est régulièrement hospitalisé.
A la naissance de l’aînée, la famille est également suivie par la P.M.I., les services sociaux, la tutelle et des travailleuses familiales.
En juin 2000, la mère est retrouvée errante avec ses enfants, dans les rues d’Avignon. Son comportement entraîne l’intervention des pompiers qui font un signalement au procureur. Les enfants sont confiés à l’A.S.E. Vanessa a alors dix ans.
Accompagnés par l’A.S.E, les enfants portent plainte contre leurs parents pour maltraitance et attouchements. Vanessa aurait été abusée par son père alors que sa mère accouchait à la maternité du petit frère Marc, et globalement négligée durant son enfance. L’A.S.E, interpelée par une sexualisation des rapports à l’adulte de la famille d’accueil, porte également plainte pour « attouchements » au nom des deux petits frères, suivis en C.M.P.I et I.M.E.
Parcours de soin
Différents essais en famille d’accueil sont tentés pour Vanessa, en vain. Elle est hospitalisée, à 15 ans, dans notre unité.
Au cours de son hospitalisation, comme dans tous les lieux de placement qu’elle a connus, Vanessa a répété de nombreuses fugues (direction Lille et d’autres grandes villes via le train) où elle portait des plaintes somatiques dans différents hôpitaux. Elle s’avère tellement convaincante qu’elle subit même une intervention chirurgicale exploratrice qui ne retrouve aucune lésion organique (appendicectomie en Suisse). Depuis, deux ans, ces fugues se limitent à l’intérieur du Centre Hospitalier où elle se rend dans d’autres unités pour se plaindre des maltraitances physiques subies dans l’unité.
Son hospitalisation au pôle adolescent s’est faite sur la base d’un partenariat étroit avec le juge des enfants, le médecin de l’unité de victimologie et l’Aide Sociale à l’Enfance. L’intégration progressive et séquentielle en famille d’accueil a été plusieurs fois tentée, un travail sur la relation mère/fille a été entamé avec entretien médicaux et visites médiatisées. Le discours est très pauvre. Vanessa reste collée au sein de sa mère. Néanmoins, la mère puis le père sont parvenus à encourager la prise en charge, et à adopter un comportement plus adapté avec leur fille.
Confrontations à la Loi
Vanessa refuse toute autre famille ou lieu de vie autre que sa famille biologique. Toutes les tentatives de familles d’accueil se sont soldées par des fugues, des hospitalisations itératives aux Urgences et des allégations de maltraitance dans le milieu familial. Le 26ème et dernier projet de placement familial thérapeutique à temps partiel a pris fin de la même manière.
Alors qu’à son arrivée, Vanessa pesait environ cinquante kilos pour un mètre soixante-huit, elle en pèse aujourd’hui quatre-vingt. Elle se remplit, semble se rapprocher de plus en plus de la morphologie de sa mère. Elle a du mal à supporter l’attente pendant les repas. Le régime prescrit est difficile à lui faire suivre car Vanessa teste toujours le cadre. Son comportement au sein de l’unité est devenu clastique, agressif envers les soignants autant qu’envers elle-même. La liste des dégradations qu’elle cause dans l’unité depuis plusieurs mois devient trop importante et l’hôpital porte plainte contre Vanessa, afin estime-t-on de lui poser une limite en la confrontant à la Loi.
Le juge prononce une peine de vingt heures de travaux d’intérêt général qu’elle effectue accompagnée par des soignants dans un verger d’Avignon. Elle n’effectue que douze heures car son comportement ne permet plus d’accompagnements à l’extérieur (plaintes somatiques, manifestations d’hétéro-agressivité, fugue du verger, etc.).
Nous tentons alors des permissions de 48 heures par semaine, dans sa famille, avec l’accord du juge et des parents mais le comportement de Vanessa chez ses parents comme dans l’unité reste inadapté.
Face à l’épuisement de l’équipe, le psychiatre de l’unité signifie à Vanessa qu’elle a trouvé nos limites, que nous ne savons plus quoi faire pour elle. Le juge décide « un séjour de rupture » d’un mois à Nice, dans le but de demander l’avis d’une autre équipe et faire souffler celle de l’unité, et de lui trouver un nouveau projet.
Vanessa, le retour
Un mois plus tard, Vanessa revient avec le sourire. Le séjour s’est bien passé. Elle a participé à l’ensemble des activités proposées. Elle est plus calme et plus détendue. Le mieux se poursuit pendant une quinzaine de jours pendant lesquels on ne note pas de trouble du comportement. Un compte-rendu de l’équipe qui l’a accueillie nous est transmis : « L’observation institutionnelle et les entretiens permettent de retenir le diagnostic de psychose infantile d’évolution déficitaire attesté par un retard mental moyen (Q.I. 50). » L’évaluation du psychologue de la structure confirme le diagnostic de structure psychotique et estime son âge mental moyen à neuf ans et un mois. Elle montre des capacités intellectuelles limitées qui renverraient à une prise en charge de type I.M.P.R.O. et à terme un travail en structure protégée du type E.S.A.T.
Cet avis est contesté par le psychiatre, le cadre de santé et le psychologue de notre unité qui estiment que Vanessa se rend psychotique au monde par ses carences mais ne lui trouvent pas une structure psychotique. Ils évaluent son Q.I. à 70. Aucun diagnostic n’étant posé comme on évite de le faire en pédopsychiatrie, chacun propose le sien : « Elle est névrosée, mais non voyons elle est borderline, je ne sais pas ce qu’il vous faut, évidemment qu’elle est psychotique. Il lui faut des thymorégulateurs, … » Aucun des projets menés par le biais de l’hôpital, qu’ils viennent d’elle ou de l’équipe, n’aboutit.
Vanessa reprend les permissions chez ses parents, son comportement redevient le même qu’avant son départ. L’équipe ne s’en étonne pas : Vanessa a déjà montré à plusieurs reprises que ses périodes de mieux être ne duraient pas.
La révolte de l’équipe
Vanessa est donc reçue à nouveau par le juge qui fixe une audience dans un délai assez large afin de pouvoir évaluer si son comportement a évolué depuis leur dernière rencontre. Un compte-rendu doit être fait au juge sur son comportement journalier. Une grille de notation est mise en place (il s’agit de noter le comportement de Vanessa selon des items définis avec elle tels le lever, la douche, le respect du régime, etc.).
Le juge était ainsi présenté comme un tiers dans la prise en charge de Vanessa même si celui-ci ne s’entretient qu’exclusivement avec le psychiatre.
Cet outil de travail n’a pas été accepté par l’équipe en général car :
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Il tend à supprimer les comportements dits « anormaux », et ces derniers ne sont pas entendus comme symptômes. On observe que lorsqu’un symptôme disparaît un autre vient prendre sa place si les conflits intrapsychiques ne sont pas réglés. Les comportements auto et hétéro-agressifs ont bien diminué mais Vanessa s’est mise à « plafonner » dans ses moments d’opposition passive, ce qu’elle ne faisait pas avant.
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A visée, soi-disant éducative, l’outil ne signifiait à Vanessa que les points négatifs et restait assez subjectif car il donnait libre cours à l’expression au contre-transfert négatif de nombreux soignants.
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Axé sur une prise en charge très comportementale, il ne répond pas non plus à ce que pourrait proposer une thérapie comportementale : « il faut que tu aies un comportement adapté, pendant quatre semaines consécutives, pour que ton projet de foyer soit validé par le juge, pour que tu puisses y aller. »
Bien sûr, Vanessa n’a jamais pu tenir quatre semaines consécutives avec un « bon » comportement. C’était comme si on demandait à Vanessa d’arrêter d’être malade, de ne plus avoir de symptômes. On tend à normaliser son comportement.
Il est donc décidé de faire un compte-rendu journalier au juge, sur le comportement de Vanessa, mais sous forme de petites synthèses.
Le comportement de Vanessa au quotidien
Dans l’unité Vanessa est inhibée sur le plan psychomoteur. Elle passe son temps à dormir quand elle n’est pas avec nous mais ce n’est pas entièrement dû au traitement car cet état n’est pas permanent. Selon ce qui lui est proposé, elle peut être réactive et très dynamique.
Au quotidien, elle doit être très souvent sollicitée pour les soins d’hygiène. Elle reste très dépendante des soignants et cherche mille façons de rester en compagnie des adultes. Elle somatise énormément sans cibler d’appareil précis. Elle multiplie les demandes d’entretien, annulant ainsi le sens que pourraient avoir ces entretiens. Quand elle ne se sent pas entendue, elle fait en sorte de se mettre en danger (agitation, strangulation, auto et hétéro-agressivité, etc.), ce qui lui permet d’être encore en relation avec les soignants (entretiens pour désamorcer la crise, contention, etc.). Une indication de pack a été plusieurs fois soulevée par l’équipe infirmière, mais le médecin et le cadre disent clairement ne pas adhérer à ce type de prises en charge.
Au niveau de la sexualité, Vanessa verbalise souvent le souhait d’être mère mais ne s’intéresse pas aux garçons ou peu (les deux seuls qui l’ont intéressée étaient très limités et carencés) ; sa relation avec ces garçons s’est à chaque fois soldée par des plaintes d’abus sexuel. Elle s’introduit régulièrement des objets dans le vagin (lacets, stylos, etc.) et demande ensuite à ce qu’on les lui enlève.
Actuellement, Vanessa réinvestit le domaine scolaire, à raison d’une heure par semaine avec une institutrice spécialisée. Elle est également inscrite pour la reprise de l’activité sportive (gym, foot).
Elle a réussi à perdre une dizaine de kilos. Le régime a donc été arrêté. Vanessa recommence à se remplir et doit être limitée quantitativement.
Dans la pratique, tout le monde est d’accord pour dire que l’hospitalisation devient néfaste pour Vanessa. De nombreux projets sont mis en place que chaque fois Vanessa met en échec, ce qui repousse inexorablement sa sortie.
On attendait d’abord qu’elle soit reconnue comme victime par le procès contre ses parents, mais curieusement, depuis que cette reconnaissance a eu lieu, rien n’a changé. On attend donc que Vanessa ait 18 ans.
Contre-transfert soignant
On observe aussi un clivage entre les soignants qui sont dans un contre-transfert négatif et donc dans le rejet ; et ceux qui sont dans un positionnement qui « paraît » plus soignant.
L’équipe qui est dans le contre-transfert négatif a une prisse en charge (portée par le médecin et le cadre) qui tend à normaliser le comportement de Vanessa, au point qu’ils en oublient que c’est une patiente qui s’exprime par des symptômes (et je pense décrire cette équipe soignante de manière assez objective pour en avoir fait partie longtemps). En opposition, l’équipe qui « paraît » plus soignante fait de nombreuses activités avec Vanessa, passe beaucoup de temps avec elle (parfois trop), observe le comportement de Vanessa en termes de symptômes quand elle le fait mais banalise et même parfois dénie ces symptômes. Le plus souvent son comportement est presqu’excusé : « Oui, elle a claqué la porte, mais elle était concentrée pendant toute l’activité … »
Eclairage de la situation
Si on observe le comportement de Vanessa sur les plans de l’oralité, de l’inceste et de la pathologie et que l’on regarde comment ces plans se rejouent pour Vanessa, sa famille et l’institution, on constate trois choses :
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Au plan de l’oralité, on observe la répétition
a) Vanessa est obèse, elle se remplit de nourriture, elle fait de nombreuses demandes et adresse des plaintes somatiques ; elle ne sait d’ailleurs s’adresser aux autres que par la répétition des demandes et des plaintes, que l’on accède à celles-ci ou non, elle reste toujours insatisfaite.
b) Pour sa famille, le père est alcoolique et la mère obèse, tous les deux sont de grands consommateurs de soins et de prises en charge institutionnelles, la mère conserve une relation très fusionnelle avec sa fille (comportement que l’on observe normalement au stage oral).
c) Pour l’institution, on remarque que celle-ci gave Vanessa de nourriture, de médicaments, de réponses aux demandes, d’activités, d’entretiens, de projets et d’intervenants. Elle est dépendante à l’institution et à sa problématique, car elle en tire de nombreux bénéfices secondaires.
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Au plan de l’inceste, on note la plainte
a) Pour Vanessa, son comportement auto-agressif (introduction d’objets dans le vagin, relation pathologique avec la mère), son discours ambivalent concernant les faits portés dans la plainte contre ses parents et son désir de grossesse, qu’elle tente de mettre en acte avec l’aide de patients de son niveau intellectuel, questionnent l’acquisition de l’interdit de l’inceste.
b) Pour la famille, la mère a été abusée et elle est maltraitante, le père est abuseur, tous les enfants ont porté plainte, il y a une confusion des places au sein de la famille : « Tout le monde couche avec tout le monde », la mère a une relation fusionnelle avec sa fille, et il y a aussi un partage morbide de la pathologie : les symptômes des uns deviennent ceux des autres, quand la mère va bien, c’est Vanessa qui va mal, et vice versa …
c) Pour l’institution, elle est pointée comme maltraitante et abuseuse par Vanessa qui se vit comme victime de l’institution en plus d’être celle de ses parents. En parallèle, l’institution porte plainte contre Vanessa, et c’est maintenant elle, qui devient la victime de Vanessa.
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Au plan de la pathologie, on remarque de la confusion
a) Pour Vanessa, beaucoup de questions sont posées mais aucun diagnostic n’est posé, on dira donc qu’elle a une maladie psychiatrique indifférenciée.
b) Pour la famille, la mère est psychotique et le père alcoolique, on peut peut-être parler d’in traumatisme incestuel de la mère, on observe aussi un partage des symptômes au sein de la famille.
c) Pour l’institution, elle est mise en échec par Vanessa, les rôles sont inversés, il y a une confusion des places, l’institution est devenue la bonne-mère nourricière qui gave son enfant de tout (projets, intervenants), on peut peut-être se poser la question d’une institution psychiatrique psychotisante qui ne joue pas son rôle de tiers mais est engluée dans la problématique de Vanessa.
Conclusion
La question que pose cette observation c’est qu’est-ce qu’on en fait ?
Une fois que j’ai observé comment la problématique de Vanessa se rejouait dans sa famille et dans l’institution, quelle prise en charge, peut-être mieux « adaptée » pourrait-on proposer ?
Je n’ai pas trouvé de réponse à cette question, mais ce que j’ai pu observer au quotidien c’est que je me sentais moins en difficulté avec Vanessa et que cela se ressent dans les réponses que je fais à ses demandes.
Peut-être que je la vois davantage comme une patiente maintenant que la prise en charge que je lui propose ne tend plus à la « normaliser », mais à lui proposer des réponses et des activités plus adaptées à son niveau.
Néanmoins, ce que j’observe encore c’est que je n’ai fait que déplacer le contre-transfert négatif que Vanessa provoquait chez moi, sur sa prisse en charge. J’ai toujours l’impression de tourner en rond mais maintenant ce n’est plus Vanessa qui est aux commandes de mon agacement mais ce que l’équipe lui propose.
Est-ce qu’on ne pourrait pas faire mieux ? Est-ce que c’est logique ce qu’on fait avec elle ? Et d’ailleurs qu’est-ce qu’on fait ? Quels sont les objectifs de travail pour elle ?
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La restauration des liens avec les parents qui passe par une guidance et une renarcissisation parentale, était travaillée jusqu’à présent, mais ce travail est pour l’instant remis en cause par le verdict rendu au procès contre les parents (peine de prison ferme pour le père, avec sursis pour la mère).
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On disait que le procès des parents règlerait tout. Vanessa a bien été reconnue comme victime par la justice mais son comportement reste inchangé.
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On attend donc qu’elle ait 18 ans pour qu’elle aille chez les adultes, qu’enfin un diagnostic soit posé et une prise en charge adaptée mise en place.
Je ne sais plus quel sens donner à ce que je fais.
Jessica Rivard
IDE Montfavet (84)
Date de dernière mise à jour : 19/05/2020
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