Activités, atelier et soins, Isabelle Aubard

Activités, atelier et soins

Isabelle Aubard

Au cours des préparatifs de cette journée, nous nous sommes bien entendu à un moment arrêtés sur les titres, intitulés que nous allions donner aux divers ateliers. Dans l’intitulé de tous les ateliers on peut retrouver un mot commun et un signe de ponctuation commun  le signe interrogatif.

1 Soins et réinsertion 
2 Activités, ateliers et soin 
3 Comment évaluer les soins que nous dispensons 
4 Transmettre, quelle écriture du soin 
5 Lieux de vie, lieux de soins 

Vouloir malmener le terme de thérapeutique, c’est également vouloir malmener ce qui fait traitement, ce qui fait soin. Mais le malmener pour y trouver un sens, pour en retirer la «substantifique moëlle ».
Je me propose donc de nous donner quelques éclaircissements sur la valeur sémantique de ces mots que nous allons traiter dans cette atelier  Activité, Atelier, Soin, Thérapeutique et j’aimerai ajouter le terme de groupe, car c’est un mot fréquemment utilisé dans les services de soin. Mais une fois ces termes mis bout à bout, ensemble, associés : Atelier thérapeutique, Activité de Soin, Groupe thérapeutique que deviennent-ils, quels sens prennent-ils ?
J’ai donc pris le parti de donner des définitions, des éclairages sur le sens et l’étymologie de ces mots car il me semble important que nous puissions avoir une convention sémantique commune pour ensuite engager la discussion.

L’ATELIER

Ce mot est dérivé de l’ancien français « » et a donc la même origine que le mot « ». Il est d’abord utilisé au XIV siècle au sens de « d’éclats de bois », puis de « chantier, lieu ou travaillent ensemble des artisans, des ouvriers ». C’est aussi le lieu de travail d’un peintre, d’un sculpteur, lieu de travail des beaux arts. C’est donc un terme qui désigne tout lieu de travail artisanal.
Il désigne également l’ensemble des artistes qui travaillent en atelier sous la direction d’un maître  C’est «Oeuvre d’atelier ».

L’ACTIVITE

Ce terme apparaît au XVème siècle, il est emprunté au latin activitas «agir, produire un effet » comme l’activité d’un acide, d’un poison, puis au XVI siècle il prend la valeur «’énergie », de dynamisme, de vitalité et enfin au XIXème siècle celle que nous utilisons « » et «période d’exercice d’une fonction ». L’activité désigne l’ensemble des actes coordonnés et des travaux de l’être humain  c’est une occupation.
Et par extension il existe l’activité volontaire, réflexe chez l’homme, l’activité nerveuse, l’activité volcanique, l’activité solaire et aussi le «de l’activité à la retraite ».


LE GROUPE

Le terme de groupe vient de l’italien gruppo qui signifie «nœud, assemblage ». Il a également une origine germanique  signifiant «arrondie ». Le groupe est un ensemble de choses ou de personnes.
C’est un mot assez récent, il semble qu’il fait sa première apparition littéraire dans un poème de Molière sur le Val de Grâce. Au milieu du XVII siècle, le mot de groupe désigne toute réunion de personnes vivantes et à partir du XIX siècle, il va subir une expansion prodigieuse et va s’appliquer à tout ensemble, toute unité partageant un intérêt, un but commun comme le groupe scolaire, le groupe électrogène, le groupe sanguin…
Didier Anzieu dans son livre «Le groupe et l’inconscient groupal,  l’imaginaire groupal » a beaucoup développé sur les différentes visions du groupe. Il nous dit que c’est  «A partir de 1930, (que) se constitue une science des groupes, distincte de la psychologie individuelle et de la sociologie » . Il reprend dans cet ouvrage les différentes évolutions et approches données du groupe. Pour Moreno c’est une mise en commun. Mayo dit qu’il existe une entité autonome au groupe qu’il nomme mentalité commune, avec sa logique propre. Pour Lewin, le groupe c’est l’interdépendance tant pour les individus qui le constitue que pour la lecture que l’on peut en faire. Bales dit que c’est une mise en commun des perceptions, le groupe est un être vivant qui est connu de part son contenu extérieur et dont les échanges enrichissent l’individu dans sa vie du groupe. Et à mon sens ce sont ces échanges qui différencient le groupe de l’agrégat humain. Le groupe est une enveloppe qui fait tenir ensemble des individus. Tant que cette enveloppe ne s’est pas constituée nous sommes dans l’agrégat et non dans le groupe. La constitution du groupe est un phénomène de maturation.  

THERAPEUTIQUE

L’adjectif thérapeutique est emprunté au grec thérapeutikos qui signifie «prend soin de », il est construit à partir du mot thérapeuein «soin d’un malade » .
C’est l’ensemble des actions et pratiques destinées à guérir, à traiter les maladies.
Le mot la thérapeutique c’est «partie de la médecine qui a pour objet le traitement des maladies, c’est à dire qui donne des préceptes sur le choix et l’administration des moyens curatifs des maladies et sur la nature des médications ». La thérapeutique est donc traitement administré par un médecin.
Et du thérapeutique on glisse vers le soin.

SOIN

Ce terme revêt, d’ailleurs comme beaucoup d’autres mots dans la langue française, divers aspects.
1° Le soin de plaire, Appliquer ses soins. Dans ce sens c’est porté de l’attention, de l’application de l’esprit à une chose ou à faire quelque chose. Prendre soin, avoir soin de, veiller à ce que quelque chose se conserve, réussisse. Prendre soin de quelqu’un signifie aussi pourvoir à son salut, à ses besoins, à ses nécessités et, dans le vieux français, à sa fortune.
Prendre soin de associer à un infinitif devient veiller à, faire en sorte que


2° C’est lui qui a le soin de préparer le pansement. Je vous confie le soin de veiller sur mes affaires. Ici c’est la charge, le devoir de prendre soin de quelque chose, d’y veiller. On parle même des soins apportés à une maison.

3° Soin peut être entendu dans un sens de souci, d’inquiétude, de préoccupation, plutôt employé dans l’usage de l’ancien français. Citons un morceau des fables de La Fontaine  « (Le chat vit) Son rat qui se tenait alerte et sur ses gardes ; Ah  mon frère, dit-il, viens m’embrasser ; ton soin me fait injure. »

4° Racine dans « » l’utilise dans un sens de sollicitude  «les jours je l’invoque (Dieu), et d’un soin paternel il me nourrit des dons offerts sur son autel. »

5° Lorsqu’il est employé au pluriel, les soins sont les services que l’on rend à quelqu’un, les attentions que l’on a pour lui. En extension, Etre aux petits soins, faire toutes sortes de petites galanteries.

L’emploi spécialisé au sens de «des soins à un malade » date du XVIIe siècle.


J’ai glissé peut-être un peu rapidement de thérapeutique à soin. Je l’ai fait par rapport aux origines des mots et à leur définition. Cependant il n’est pas sur que tous les soins soient thérapeutiques. Ils n’amènent pas tous vers la guérison ou le traitement de la maladie, de manière à ce que celle-ci disparaisse. Soin et thérapeutique ne sont donc pas équivalents.

Mais revenons au thème de notre atelier.
Les ateliers, groupes ont été crées dans les institutions afin d’occasionner des rencontres et des activités. Ils nécessitent des exigences de fonctionnement qui sollicitent autant les soignés que les soignants. Et il est nécessaire qu’ils apportent, comme le dit J.Azoulay  « Dans le développement des rencontres, une touche libidinale qui s’oppose au renforcement de la blessure narcissique que réalise souvent au départ la situation de soin. »   
C’est un investissement libidinal qui part généralement du soignant et ou vient se greffer l’investissement libidinal du soigné par « » ou par empathie.

Tout atelier, groupe, activité quelque en soit à priori son médiateur, favorisent une mise en action des forces psychiques disponibles chez les patients et dont nous n’avons pas toujours mesuré l’étendue. Ils permettent aussi une remise en jeu de capacités d’action et de plaisir à fonctionner.

Le soignant qui propose, dans l’institution, d’animer une activité ou de s’y inclure présuppose une mise subjective qu’il établit envers le groupe et envers le patient. Le soignant propose donc une représentation dans laquelle il suggère au patient des capacités.

La présence et l’intervention des soignants dans les ateliers, groupes doivent pouvoir permettre une ébauche de l’élaboration des stimuli psychiques dont chaque être humain est l’objet tout au long de sa vie

Au travers ces atelier, activité, groupe peut-être cherchons nous à assurer et renforcer la sauvegarde et la restauration psychique du patient ?

Dans la majeure partie des cas les activités ont un caractère rythmé dans la semaine ou dans le mois. La situation de groupe requiert des dispositifs dont la terminologie a été emprunté aux théoriciens de la tragédie classique. Elle dépend de trois unités 
-    L’unité de temps
-    L’unité de lieu
-    L’unité d’action, la tâche assignée aux participants est l’unique activité durant les séances

Pour Didier Anzieu le groupe est le lieu de fomentation des images. La fomentation est selon «petit Robert » un terme venant du XIIIe siècle du latin fomentation, qui signifie vieilli. En médecine, c’est l’action d’appliquer un médicament externe et local, chaud. Mais la fomentation c’est aussi l’action de préparer ou d’entretenir en sous main quelques troubles.

Alors au cours de nos 2 heures d’atelier nous pourrons peut-être nous questionner sur ce qu’il s’y passe dans les activités, les ateliers de nos unités de soin 
-    Existe-t-il cette idée d’application d’un traitement, comme l’application d’une pommade 
-    Nous donnons-nous la possibilité de poivrer-saler les mots, de jouer avec, d’y mettre du jeu 
-    Sommes-nous en train de faire surgir des sentiments, les ressentis 
-    Et les ateliers sont-ils traversés des désirs 
-    Sont-ils agités par des sentiments 
-    Suscitent-ils des peurs 

Et je laisse comme dernière question celle qui me tient à cœur, la question de «’occupationnel ». Le terme d’occupationnel est souvent mal vécu dans l’institution, comme si le fait de l’employer allait retirer à l’activité son côté soignant, son côté thérapeutique. Dans notre abstract de présentation de cette journée nous avons employé les termes de «chiffon occupationnel ».
Pourtant nous passons notre vie à nous occuper.
Occuper cela veut dire remplir un espace, une durée, consacrer son temps à, ne pas être oisif. Les synonymes d’occuper sont  captiver, s’attacher, faire, se démêler.
Alors si occuper une place dans la psyché des patients permet pour un temps de mettre à distance leurs voix, leurs angoisses, ne sommes-nous pas dans le thérapeutique, dans le prendre soin de ...

Isabelle Aubard