La psychothérapie institutionnelle (VII)
La psychothérapie institutionnelle (VII)
A la fin de la seconde guerre mondiale, les soignants de retour des camps de prisonniers ou de concentration, se rendent compte que l’asile autarcique n’a pas fonctionné : 50 000 malades mentaux sont morts de faim.[1] Ils font le constat qu’il existe peu de différences entre l’asile et ces camps. De ce constat va naître la révolution psychiatrique qui fermera les unités d’agités et essaiera d’ouvrir l’asile sur la vie. Le nazisme réintroduit le fou dans l’humanité. Si les nazis, malgré leur barbarie planifiée, sont humains, alors les fous le sont également. Certains de ces fous, en pleine guerre, à Saint Alban en Lozère, à Fleury-les-Aubrais ont montré d’étonnantes capacités d’adaptation.
La psychothérapie institutionnelle, terme introduit en 1952, par Daumezon et Koechlin, est une «méthode thérapeutique cherchant à traiter et à réadapter les malades mentaux en agissant sur la structure sociale de l'institution psychiatrique où ils sont soignés ».[2] La psychothérapie institutionnelle désigne « l'ensemble des conduites réglées à visée psychothérapique empruntant la médiation du milieu dans lequel vit le patient ». [3]
La première expérience de psychothérapie institutionnelle eut lieu à saint-Alban, en pleine occupation allemande. Le psychiatre catalan François Tosquelles prouva qu'en laissant sortir les malades, et en ouvrant l'hôpital à la population rurale, toute une série d'échanges culturels, commerciaux et politiques (Saint-Alban était également un lieu d'asile pour les résistants), mettaient en échec la sous-alimentation et la passivité chronicisante des patients. Non seulement, ils ne mouraient plus, mais en prenant collectivement des responsabilités institutionnelles, ils se transformaient profondément. Ainsi naquit le « club thérapeutique Paul-Balvet » : association de patients, garantissant leur autonomie politique et idéologique, au sein d'un dispositif de soins.
Plus tard, lors de la révolution psychiatrique des années cinquante, Bonnafé, Gentis, Torrubia, Oury, Sivadon, Le Guillant continuèrent ce travail de dé-ségrégation, indispensable à une psychothérapie de la dissociation schizophrénique. A partir de 1953, la clinique de La Borde, dirigée par J. Oury et F. Guattari devint le creuset théorique et pratique du mouvement. L'œuvre de Lacan y fut très tôt dominante, en particulier dans sa distinction opératoire entre réel, imaginaire et symbolique.
Toutes les structures du lieu de soins et de son ouverture sur l'extérieur y sont constamment repensées, en termes d'institutionnalisations successives et mobiles, permettant que le champ thérapeutique s'adapte aux patients et non l'inverse.
Soigner l'institution, casser les hiérarchies soignantes en rendant interchangeables leurs rôles, doit permettre aux patients et aux non-patients d'entrer en relation quels que soient leurs statuts d'origine. Le Club des patients, association autonome loi de 1901, gère les ateliers d'expression, le standard, le parc de voitures, etc. Son local, sa commission financière, ses assemblées générales lui assurent une autonomie de décision face à l'administration de la clinique.
L'analyse permanente et collective des opérateurs institutionnels (commissions, réunions, groupes de contrôle, etc.) permet de savoir où chacun, soignant ou soigné en est de sa folie. La préoccupation essentielle est celle d'assurer aux psychotiques un espace imaginaire de référence, ce territoire minimum sans la consistance duquel aucune psychothérapie n'est possible, une aire de jeu, proche de l'espace potentiel cher à Winnicott.
L'établissement d'une communication aussi large que possible à l'intérieur de l'institution cherche à prévenir les morcellements et les scissions au sein de la collectivité soignante dans laquelle le patient risquerait de retrouver l'image de ses propres clivages.
L'élaboration de programmes et d'objectifs thérapeutiques doit être faite en commun pour pouvoir être appliquée sans divergence ni incohérence par tous les soignants ainsi que par les différents intervenants non soignants de l'institution.
La communication entre les soignants et les patients doit être institutionnalisée, elle vise à améliorer la tolérance générale aux expressions pathologiques, à faire participer les patients à la fonction de soin et à promouvoir leur implication individuelle et collective dans la vie de l'institution.
Les réunions, où une grande liberté de parole doit régner, sont le support de cette communication. Elles peuvent concerner les seuls soignants, et ont alors pour objet le seul travail clinique et le traitement des conflits interpersonnels, ou les soignants et les soignés : réunions libres d'unité de soin, réunion organisée vers un projet d'activité et assemblées générales où sont discutées, voire parfois décidées, la politique de l'institution ou les modalités de son fonctionnement.
Dominique Friard
[1] Von BUELTZINGSLOEWEN (I), L’hécatombe des fous. La famine dans les hôpitaux psychiatriques français sous l’occupation, Aubier, Flammarion, Collection historique, Paris, 2007.
[2]POSTEL (J), Institutionnelle (thérapie), in grand dictionnaire de psychologie, op. cit., p.389.
[3]DAUMEZON (G), KOECHLIN (P), cité par POSTEL (J), in grand dictionnaire de la psychologie, op.cit., p. 319.
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