Le développement des modèles psychothérapiques
Le développement des modèles psychothérapiques (XI)
En 1909, Freud débarque aux Etats-Unis. C’est à cette occasion qu’il aurait prononcé la fameuse phrase : « Ils ne savent pas que je leur apporte la peste. » Si la psychanalyse est une maladie contagieuse, les Américains vont vite établir un cordon sanitaire et faire en sorte qu’elle perde très vite de sa virulence. Des juristes new-yorkais édictent à l’automne 1926 que l’analyse pratiquée par des non-médecins est illégale.
La psychanalyse est donc réservée aux seuls médecins. Qui passe outre est attaqué en justice pour exercice illégal de la médecine. Ce monopole médical a deux conséquences qui vont progressivement transformer et la théorie et la pratique : il fige la théorie psychanalytique américaine qui ne peut plus évoluer, sinon vers « l’egopsychology », (une psychanalyse centrée sur l’adaptation du Moi au monde) et il interdit l’exercice de la psychanalyse aux psychologues. Les psychologues américains qui sont docteurs en philosophie et réputés pour leur rigueur expérimentale vont « mendier » leur intégration. En vain. « Alors lassés, ainsi que l’écrit Dominique Megglé, ils se dirent qu’ils n’étaient pas si stupides, qu’ils étaient capables de quelque chose en psychothérapie, qu’ils n’avaient pas besoin des médecins pour penser, et que, si un jour ce qu’ils faisaient intéressaient les médecins, ils aviseraient. »[1] C’est ainsi que Carl Rogers après s’être fait refuser l’entrée à l’institut de Chicago nomma ce qu’il faisait client centered therapy. « La recherche psychothérapique était libérée, les psychologues purent donner libre cours à leur créativité. La souffrance psychique n’avait plus besoin d’être considérée comme une maladie, ou une lésion d’un organe qui serait « l’appareil psychique » pour être soulagée. »[2] Les différents modèles de psychothérapie vont se constituer contre la psychanalyse plutôt que contribuer à l’enrichir. Les uns et les autres sont sourds aux contributions qui ne proviennent pas de leur chapelle.
Différents modèles de thérapies vont apparaître. Certains de leurs promoteurs sont d’anciens psychanalystes, d’autres sont psychologues. Si le comportementalisme se caractérise par ses expérimentations, ses protocoles précis, il n’en donne pas moins, parfois, une place certaine à l’écoute et aux émotions ressenties par le patient. La technique de désensibilisation systématique en est un bon exemple. On demande au patient de construire une hiérarchie de dix à vingt situations anxiogènes qu’on va l’amener à affronter en alternant séances de relaxation et exposition aux situations. Cette technique suppose un accompagnement relationnel intense et une écoute de qualité. On peut faire le même constat à propos des thérapies cognitives. Aider le patient dépressif à dépister les pensées automatiques responsables des sentiments négatifs et à les corriger, l’aider à découvrir le schéma cognitif à l’origine des pensées automatiques et l’amener à le modifier suppose de l’écouter. Il s’agit d’être là l’oreille ouverte. Cet accompagnement relationnel n'est pas pensé par ces thérapeutes pour lequel il n'est au mieux qu'un adjuvant.
La thérapie de Carl Rogers, modèle de thérapie centré sur le « client », traduit par relation d’aide, est le modèle le plus achevé des thérapies humanistes. Le thérapeute y favorise l’émergence d’un processus de croissance par son attitude : il est lui-même, non pas dissimulé derrière son rôle de thérapeute. Il se sert de son intuition et développe toute l’empathie dont il se sent capable afin que le « client » se sente en confiance, compris. Il s’agit de créer par une écoute inconditionnelle un contexte, la situation psychothérapique, qui va permettre que le processus de croissance interrompu puisse reprendre et se fortifier. Ce modèle va avoir beaucoup de succès, notamment chez les travailleurs sociaux qui vont l’utiliser dès les années 40. Ils vont y introduire progressivement des concepts tirés de
Dominique Friard
[1] MEGGLE (D), Les thérapies brèves, Presses de la Renaissance, Paris, 2002, pp. 29-30.
[2] Ibid.
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