"Je suis en colère !!!"

« Je suis en colère !!! »

Le déconfinement pose la question des soignants "en réserve" qui ont permis aux hôpitaux de fonctionner "normalement". L'ambulatoire va-t-il être sacrifié ? Le piège se referme sur soignants et soignés. 

Elle signe Juliette G., elle est infirmière en psychiatrie et ce 24 mai, écrit sur le blog du Huffingtonpost.

« Aujourd’hui, je suis en colère. J’écris avant d’être résignée, parce que je sais trop bien comment on tolère l’intolérable.

Je suis  en colère puisqu’on m’empêche d’exercer mon métier, un métier que j’aime et dont l’utilité sociale est loin d’être remise en cause aujourd’hui. Je suis infirmière depuis treize ans et j’ai appris beaucoup, la résignation, la colère étouffée. Mais là, aujourd’hui c’est trop !

Je suis en colère puisqu’on délaisse les patients qui souffrent de troubles psychiatriques, des patients qui ont besoin de soins psychiques. »

Nombre d’entre nous, comme Juliette, sont en colère. Nous ne sommes même que colère, en ce moment.  Oui, les personnes souffrant de troubles psychiques ont été abandonnées, virées des unités de soins où l’on a ouvert des unités Covid 19. On les a, souvent, laissé chez eux sans plus s’en préoccuper. La priorité ambulatoire aura fondu comme neige au soleil.

« Je suis infirmière dans un hôpital de jour en psychiatrie au sein d’une équipe de soignants tous engagés autour de valeurs communes –valeurs que j’associais (peut-être naïvement) à celles du service public : l’égalité dans les soins, tant par leur qualité que par leur continuité. Quotidiennement nous accompagnons et soutenons des personnes qui souffrent de troubles psychiques, qui sont bien souvent en marge de notre société. »

En marge. Ils l’auront été plus encore pendant cette période de confinement. Leur seul contact humain, quand il existait, était téléphonique. Pauvres parmi les pauvres, ils vivent souvent dans des studios étroits où ils ont étouffé. Atteints du Covid 19, ils étaient programmés pour être soignés, non pas aux Urgences, dans un hôpital normal, mais en psychiatrie. Hospitalisés pour des raisons psychiatriques, ils auront été confinés dans leur chambre. Pas isolés confinés.

« L’hôpital de jour a fermé ses portes au public le 17 mars 2020, comme tous les lieux publics français. C’est normal c’est le Covid. On se mobilise, on s’organise. C’est normal, c’est le plan blanc. L’organisation est désastreuse. C’est normal, cette situation est inédite pour tout le monde. J’accepte le doute, l’incertitude. »

Etait-ce si normal de fermer les hôpitaux de jour et les CATTP ? Restreindre leur ouverture, pourquoi pas mais les fermer ? Surtout dans les départements où quasiment aucun cas de Covid n’a été recensé. Quelle éducation thérapeutique ont reçu les patients ? Que leur a-t-on expliqué de la pandémie ? Qu’ont-ils compris des fameux gestes barrière ? Qui mieux que leurs soignants auraient pu les leur expliquer ?

« Une peur, cependant, me tenaille : comment vont survivre nos patients à cette épreuve ? Ceux qui sont seuls et démunis ? Ceux qui souffrent d’une pathologie du lien, ceux pour qui il a fallu des semaines voire des années à tisser leur unique lien social ?

Je souffre de voir mon équipe se déliter, cette équipe qui faisait notre force, notre fierté. Ballotée aux quatre coins de l’hôpital, une grande partie a désormais intégré «la  « réserve » de soignants de l’hôpital, autrement dit nous sommes amenés à remplacer au pied levé là où c’est nécessaire. Ceux qui restent à l’hôpital de jour s’organisent : des visites à domicile pour les patients les plus démunis et un planning d’appels téléphoniques comme soutien aux autres. »

Arrive l’heure du déconfinement. L’hôpital de jour va rouvrir ? Eh bien, euh non. Peut-être fin mai. Partiellement. Pourquoi ? Les patients sont guéris ? Ils n’ont plus besoin de soins en ville ? Euh non. Par manque d’effectifs.

« Je suis en colère parce que les soignants qui ont intégré la « réserve hospitalière » sont devenus indispensables au bon fonctionnement de l’hôpital. Les infirmiers ainsi dégagés de leur activité à l’hôpital de jour peuvent effectuer les remplacements nécessaires dans les équipes intra-hospitalières. Pourquoi ? »

Le piège est en train de se refermer sur les soignants et les patients. La plupart des administrations fonctionnent, aujourd’hui, à flux tendus. Le télétravail, la mise à disposition des personnes dédiées à l’accueil leur ont permis de fonctionner comme elles devraient le faire si le bien public était l’objectif des politiques et des technocrates. Retour en arrière ou pas ? Le choix est délicat et laissera des regrets. En psychiatrie, l’ouverture des lieux de soins ambulatoires a été le fruit de choix politiques et stratégiques assumés par des médecins et des équipes pionnières. Il a fallu repenser le soin et son organisation en fonction de cet objectif et intégrer les ouvertures qu’il permettait. La création administrative de lieux dédiés aux soins ambulatoires n’a jamais intégré cette dimension. Il ne s’agissait que de pions à déplacer. Tant que les directions d'hôpitaux auront en charge l'activité ambulatoire, ces soins seront sacrifiés. 

« Je suis en colère, puisque sous couvert de crise sanitaire, notre équipe pallie les déficits institutionnels inhérents à  une politique gestionnaire de l’hôpital en place depuis plusieurs années. Aujourd’hui, l’hôpital ne peut pas se passer de la « réserve » de soignants de l’hôpital de jour pour fonctionner.

Je suis très en colère, pouvons-nous laisser nos patients sans soin ? Attendons-nous qu’ils décompensent gravement et qu’ils viennent ensuite gonfler les lits de l’hôpital ? Attendons-nous le point de rupture ? »

Que répondre aux patients et aux familles ?

« Doit-on leur répondre que leur situation est secondaire face aux préoccupations hospitalières ? Doit-on leur dire que leurs soins sont sacrifiés au détriment de la crise ? Doit-on leur signifier que tout le travail accompli avec patience et persévérance n’a finalement plus de sens et que la rupture de soins n’est pas si grave ? »

Notre collègue achève son texte sur cette question.

A Serpsy nous répondons que oui. Les usagers et leurs familles ont les moyens de comprendre ce qui se passe. Les citoyens ont le droit de savoir ce qui se passe en réalité. La démocratie passe par des citoyens informés qui font des choix, y compris celui de manifester avec les soignants.  Elle ne se divise pas. Nous ne soignons pas des sous-citoyens. N’en déplaise au directeur du Rouvray.

Rien ne bougera sans rapport de force …

D. Friard, à partir d’un texte de Juliette G. (Merci à elle).

 

 

Date de dernière mise à jour : 24/05/2020

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