Salomé, Chaperot Christian, Salomé et son psychiatre
Salomé et son psychiatre
Récit d’une expérience psychotique
Salomé, Christophe Chaperot
Un ouvrage rare écrit par Salomé avec son psychiatre, un dialogue entre deux catégories d'écrits. L'amour de l'écriture l'infuse de bout en bout et illustre ce que pourrait être une "écriture thérapeutique".
« Je suis hospitalisée de nouveau
Rechute ? échec ? Régression ?
29 mai 2014
J’essaye de me rassembler
J’essaye de pas trop souffrir
L’hôpital me sert de corps, puisse-t-il
Et toujours depuis 2 jours ce brouillard
Epais
Mon corps est ouvert sur le dehors
Il ne me contient pas
Je suis éparpillée, explosée
Attendre
Je me sens transparente
Mon corps s’évapore
Je m’évapore dans l’air »
Les auteurs
Christophe Chaperot est psychiatre, psychanalyste, médecin-chef de service à Abbeville, rédacteur-en-chef de l’Evolution psychiatrique, membre correspondant de la Société médico-psychologique. C’est un clinicien reconnu de la psychothérapie des psychoses qui a publié de nombreux ouvrages (essais et romans) parmi lesquels : « Formes de transfert et schizophrénie » (2014), « La psychothérapie psychanalytique des psychoses » (2019), « Krisis » (roman 2010), « Post-mortem » (Roman 2013). Il est aussi psychiatre de Salomé.
Salomé est « une jeune femme en recherche perpétuelle, qui a connu et décrit l’envers du décor : la psychose ». C’est de cette façon que la 4ème de couverture la présente. Salomé écrit sous un pseudonyme. Il serait possible de la présenter de différentes façons qui ne feraient pas toutes référence à la maladie, après tout qui n’est pas en recherche perpétuelle ? Beaucoup de ceux qui ont connu la psychose ne l’ont pas écrit, Salomé, elle, le fait. Parfois l’écrit se présente comme un petit caillou qui permet de ne pas se perdre, d’abord peut-être de savoir que l’on est là, qu’il y a un chemin. L’écrit, à d’autres moments, rend compte du chemin parcouru. Dans toutes ses dimensions. Il serait possible de présenter Salomé à partir de ses relations à l’écrit. L’écriture c’est ce qu’elle a en commun avec C. Chaperot.
Ils en ont fait un livre.
« Je lis Mary Barnes et ne peux garder ça pour moi.
Je découvre des choses sur moi.
Plus je lis ce livre, plus je déteste Mary, plus je bouillonne intérieurement.
Elle m’énerve.
Elle m’énerve car j’ai l’impression de sentir sa volonté (avec sa peur) à être folle, presque elle le revendique, une revendication à la folie (une complaisance ?). Plus je lis, plus elle m’énerve, surtout lorsqu’elle frappe quelqu’un je me dis : « Pour qui elle se prend ? ». Je me demande ça tout le temps : « Pour qui se prend-elle ? » »
L’ouvrage
Peut-on écrire un livre avec son psychiatre ?
Certains comme Mary Barnes (« Un voyage à travers la folie », avec Joe Berke) ou Jean Alain Génermont (« Vivre avec des Hauts et des bas », avec Christian Gay) l’ont fait. C’est toujours dans l’après-coup, une fois que les troubles se sont apaisés. La folie n’apparaît que dans ce qui est raconté. Le récit, lui, apparaît comme très raisonnable, très construit. La narration de Mary Barnes énerve Salomé. Mary parle de trop loin, d’une expérience qu’elle a surmontée, dont elle est sortie, comme si elle n’était pas authentique. Jean-Alain illustre par son exemple détaillé, les différentes étapes d’une vie avec des hauts et des bas, avec des troubles de l’humeur, manie et mélancolie. Lui aussi est à distance. Dans la rencontre avec le psychiatre, quelles que soient les précautions que celui-ci prend, se perd quelque chose du vécu de la folie et se gagne de l’insight, de la compréhension de soi qui justifie l’écriture, lui donne sa pertinence. L’auteur est repassé de l’autre côté de la barrière et témoigne de ce qu’il a vécu. Il serait malvenu de s’en plaindre, ne s’agit-il pas de soin ? Le récit reconstitue un parcours, un voyage. Il est un point d’arrivée. Il peut servir de modèle, de points de repères à d’autres voyageurs. C’est pour cette raison que C. Chaperot conseille à Salomé de lire Le voyage à travers la folie de Mary Barnes.
Le premier intérêt de l’ouvrage commun de Salomé et Christian est qu’il n’occulte pas les moments où Salomé est envahie par sa psychose. La folie y a droit de cité. C’est bien la moindre des choses mais aujourd’hui la psychiatrie fuit la folie comme la peste. Elle ne veut plus rien en savoir d’autre que le discours policé de pairs-aidants dûment diplômés. La folie, c’est un moment. Salomé écrira d’autres choses, avec un autre type de relation à l’écrit. Des textes où elle sera plus à distance. Ces textes parlons-en : les mails envoyés à son premier psychanalyste, ceux envoyés à Chaperot qui n’y répond pas, ceux, manuscrits, qu’elle écrit à l’âge de onze ans, le courrier qu’elle écrit à ses parents le lendemain de son hospitalisation, son journal d’hospitalisation. Apparaît petit à petit « la puissance de l’écriture et sa force pour nous transformer, même si tout semble figé. » Se dessine ainsi une continuité entre les différents moments d’être de Salomé. Il n’y a pas de rupture. C’est la même personne mais pas tout à fait. L’écriture comme ouverture.
« Salomé aime écrire, cela fait partie de sa manière d’exister, et je l’ai dit, elle avait déjà produit beaucoup de textes sur son vécu, sa catastrophe intime, sa lutte, la psychiatrie, la psychanalyse avant de décider ce travail qui crée, mais aussi rassemble, synthétise et se veut « ouverture » (ou « horizon » dont Salomé parle dans la conclusion, « pousser les murs du labyrinthe » me dira-t-elle). » Chaperot relate ainsi la genèse du projet de livre. Il lui conseille le livre de May Barnes pour l’aider à surmonter la honte qu’elle ressentait. Pas d’identification donc, mais l’idée d’un livre qu’au départ il souhaitait qu’il s’agisse de son livre.
Salomé lui écrit :
« Chaque fois que je viens vous voir, en ce moment, d’une part j’arrive à lutter contre le désespoir en pensant au livre et d’autre part je repars avec plein de questions que j’ai oublié ou n’ai pas su vous poser en temps voulu.
Là je me pose cette question :
Pourquoi dire que ce livre serait MON livre ?
Parce qu’il y aurait plus de phrases de moi ?
Ou pour éviter que ce ne soit NOTRE livre ?
Pour éviter que ce soit trop symbolique pour moi, pour mettre de la distance ?
Parce que faire un livre c’est comme « accoucher » d’un enfant et que faire un livre à deux c’est comme « faire un enfant » symboliquement ? »
Elle conclut :
« C’est notre travail d’écriture thérapeutique qui prendra peut-être la forme d’un livre mais dit comme ça, ça protège notre petite Salomé qui se fait facilement des films et fait un gros transfert tout à fait conscient envers son psychiatre et qui a le délire facile … »
Il existe plusieurs façons de lire ce livre remarquable :
- comme un témoignage (ce qu’il est),
- comme une monographie (une histoire de cas partagée avec le dit cas ce qui en modifie les règles)
- comme une sorte de « pathographie » qui oblige le lecteur à réviser ses catégories,
- comme une expérience d’écriture partagée, authentique aventure littéraire,
- et surtout comme une réflexion à deux esprits, à deux psychismes sur ce que peut être une écriture thérapeutique.
Dominique Friard
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