Transmettre en psychiatrie
Transmettre le soin en psychiatrie
Transmettre le soin en psychiatrie, tel était (et reste) le défi auquel sont confrontés les derniers infirmiers de secteur psychiatrique. Il s’agit de susciter, d’accompagner une réflexion infirmière. Pas uniquement pour des raisons corporatistes mais pour enrichir le soin, notamment dans sa dimension quotidienne. Ce texte visait à dessiner, en mars/avril 2000 les contours de qui aurait pu être le grand chantier des années 2000-2010.[1] Le relire vingt ans plus tard permet de mesurer le chemin qui n’a pas été parcouru.
Ils ont retroussé les manches de la blouse qu’ils ne portent pas et ont décidé de relever le défi. Leur diplôme n’existe plus, leur savoir est considéré comme quantité négligeable. N’importe quelle technicienne des soins peut exercer leur profession. Stérilisés par des gouvernants incompétents, ils seront dépourvus de descendance. Fort bien. C’est le moment d’assurer la transmission. Partout, dans le plus petit service de Corrèze, dans l’hôpital de jour de Vannes, en Bretagne, dans un CMP de Toulouse, des infirmiers de secteur psychiatrique réfléchissent, argumentent et posent les jalons d’une authentique théorisation infirmière. Et l’on voudrait qu’ils envoient des C.V. pour demander pardon ; s’il vous plaît le D.E. ! Il faudrait qu’ils se prostituent, qu’ils supplient, qu’ils oublient qu’en 1938, ils étaient les seuls infirmiers de soins généraux de France. Autour de l’insulinothérapie, ils faisaient des soins qui associaient réanimation, psychothérapie et resocialisation. Sans formation. Il faudrait qu’ils justifient de la qualité des soins qu’ils accomplissent.
Mais s’il fallait attribuer le diplôme d’infirmier de secteur psychiatrique à ceux qui devront leur accorder le diplôme d’état, pas un sur mille ne l’obtiendrait. Il suffit de voir comment les personnes en souffrance psychique sont accueillies à l’hôpital général. Vingt ans ont passé, et de ce point de vue rien n’a changé. Les patients « psy » sont toujours considérés à l’hôpital somatique comme des chiens dans un jeu de quilles. Des centaines de milliers d’infirmières polyvalentes ont été formées. Des dizaines de rapports officiels ont été rédigés qui tous recommandaient de rapprocher la psychiatrie de l’hôpital général. En vain. Les infirmiers qui travaillent en psychiatrie sont des variables d’ajustement, un vivier dans lequel on peut puiser pour remplacer un infirmier somaticien absent. Et tant pis pour les projets en cours, pour les entretiens programmés. Ce racisme anti-fou a culminé avec la création d’unités covid au sein des établissements psychiatriques.
Ne nous y trompons pas, ce sont les infirmiers qui ont été touchés, mais c’est toute la psychiatrie qui est atteinte. Lorsque j’écrivais cette phrase je ne savais pas à quel point j’avais raison. Les psychiatres qui ont laissé faire sans réagir n’ont cessé depuis de regretter leur mollesse. Il n’est pas sûr que les infirmiers psy auraient pu être sauvés mais il est certain que le combat qu’ils ont mené seuls, a affaibli toute la discipline et ouvert la voie à l’approche gestionnaire du soin, à l’impérialisme à venir des neurosciences et à l’idée dominante aujourd’hui que la maladie mentale est une maladie comme une autre. Cette absence de soutien a amoindri la notion d’équipe pluridisciplinaire, lui a ôté toute consistance. Les infirmiers psy en ont retenu et ont transmis qu’il n’y avait rien à attendre des psychiatres.
Transmettre le soin en psychiatrie, qu’est-ce donc ? En quoi cette transmission relevait-elle d’un défi à relever comme nous y invitait la revue Soins psychiatrie pour laquelle j’écrivais ce texte ?
Transmettre vient du latin transmittere (envoyer de l’autre côté). Transmettre le soin en psychiatrie serait donc l’action de faire passer d’une personne à une autre un savoir, des écrits, une parole, une praxis. Pour les ISP, c’est laisser à leurs hypothétiques descendants, à la postérité, un savoir qu’ils ont été des générations à élaborer. Transmettre, c’est se souvenir que les fous ont succédé aux lépreux dans l’imaginaire collectif et qu’à la psychiatrie s’associe la notion de souillure. Les fous et ceux qui les soignent sont susceptibles de transmettre la folie, l’impur.
Que transmettre ?
Quel est donc ce savoir (savoir-faire, savoir-être, savoir y faire avec la déraison) que nous possédons en propre et dont nos collègues diplômés d’état sont dépourvus ? Pourquoi réclame-t-on la présence d’infirmiers de secteur psychiatrique aux Urgences, alors que n’importe quel infirmier polyvalent est censé être compétent pour apprécier le risque de récidive suicidaire, mener un entretien d’accueil infirmier qui permette au patient d’exprimer son vécu, son ressenti vis-à-vis de ce qui lui arrive ? Si le diplôme unique a un sens, ce devrait être celui-là : permettre à tout infirmier d’être en capacité de prendre en charge une personne envahie par son délire comme à tout infirmier d’effectuer une prise de sang délicate ou d’informer un patient sur son traitement et sa maladie ? Comment faire si ça n’est pas enseigné ? Si ceux qui sont censés l’enseigner n’en ont souvent aucune expérience ? Le même infirmier dépassé aux Urgences par la souffrance psychique peut, du jour au lendemain, travailler dans un hôpital de jour, une unité pour malades difficiles ou un centre d’accueil pour adolescents. Rien ne l’interdit. D’ailleurs c’est ce qui se passe. Les textes qui réglementent la formation infirmière estiment qu’il est compétent pour cela. L’écart entre ces fameux textes écrits par ceux qui nous considéraient comme quantité négligeable et la pratique quotidienne est considérable. De jeunes diplômés se retrouvent responsables des soins dans une unité, alors qu’ils n’ont aucune référence théorique leur permettant de penser le soin et son impact sur la personne. Il existe d’un côté, des techniciens, de bons techniciens qui accomplissent des actes. C’est ce qu’on leur demande : des actes que l’on peut coter, évaluer, chronométrer, dont on peut calculer le coût, et dont on peut se passer si le coût dépasse ce qu’ils rapportent. De l’autre côté, on rencontre des soignants peut-être moins habiles techniquement (ce n’est même pas sûr) mais qui connaissent le sens des actes, qui peuvent penser le soin, ses répercussions chez la personne et son impact relationnel chez l’un et chez l’autre. Et ça on ne peut pas le coter parce que ça fait appel à la singularité de chaque patient et de chaque situation de soin. Cette richesse-là n’a aucun intérêt pour les gestionnaires à la petite semaine qui fourmillent dans les ministères. D’un côté, il y a le soin (essentiellement curatif comme l’a hélas montré le Covid) et de l’autre le « méta-soin ».
Le méta-soin
Comment le décrire ? Il faudrait d’abord définir ce qu’est un soin en intégrant différents points de vue : l’acte accompli, son effet somatique, biologique, le soulagement qu’il provoque ou non chez la personne soignée, la façon dont la personne se le représente, les liens qu’elle fait avec son histoire, avec les maladies de ses proches ; il faudrait ensuite penser ce que ce soin suscite chez le soignant, comment ce soignant réagit à ce que la personne soignée lui donne à voir, à vivre, penser l’interaction psychique entre soignant et soigné, entre institution soignante et couple soignant/soigné, penser ce que cela produit sur leur relation, sur le soin dispensé. Il faudrait prendre en compte l’entourage du patient, ses réactions face à la maladie, au mieux-être ou à son aggravation. Une fois cela pensé, il faudrait regarder dans sa boîte à outils théoriques et choisir les actes et les grilles de lecture les plus adaptées à la situation rencontrée. L’impact de la relation fait évidemment partie des outils à utiliser ou non. Nous avons à transmettre cette complexité et les moyens théoriques et pratiques de la prendre en compte. Il nous appartient de réfléchir le soin. Faute de prise en compte du méta-soin, on voit se multiplier les isolements et les contentions. Les infirmiers désarmés déplorent de ne pouvoir faire autrement.
Redéfinir le soin
Les soins infirmiers sont constitués d’échanges dynamiques entre l’infirmier et une personne ou un groupe de personnes. Ils se caractérisent par des soins de base technique, éducatifs et relationnels qui requièrent expertise technique, disponibilité, observation, capacité d’analyse, écoute, compréhension des problèmes, respect de la différence, accompagnement, relation d’aide, permanence et continuité. Ils impliquent la connaissance et l’application de techniques de soins spécifiques somatiques et la maîtrise des concepts relatifs au comportement, à la personnalité, au psychisme, aux différentes pathologies somatiques et psychiques, et enfin aux relations interpersonnelles.
L’infirmier identifie de quelle manière la personne ou le groupe de personnes réagit à la maladie ; il est nécessaire qu’il sache l’aider à y réagir de la façon la plus appropriée possible, qu’il favorise son adaptation aux modifications de la vie quotidienne que la maladie peut entraîner, qu’il lui permette par son écoute attentive et ses reformulations d’intégrer l’expérience que représente cette maladie dans sa vie. Ainsi pourrions-nous décrire le territoire qui est nôtre. Ma définition du soin a évolué au fil des années. Je le décris, aujourd’hui, comme « tout dispositif, simple ou complexe, sacré ou savant qui vise à prévenir, accompagner, soulager, intégrer voire dépasser la souffrance physique, psychique ou sociale d’un individu ou d’un collectif. Ce dispositif se définit par le contexte dans lequel un (ou des) opérateur(s) suffisamment engagé(s) et reconnu(s) (en use(nt) voire en abuse(nt), par la nature des interactions qui le(s) relie(nt) à un sujet ou à un groupe de sujets en souffrance, par l’objectif poursuivi par cet opérateur, par le contenu de ces interactions et par la lecture théorico-clinique même minimale qu’il en en font. Ce dispositif admet quatre dimensions : technique, relationnelle, éducative et sociale. » [2]
Je ne discuterai pas de la pertinence de cette définition vis-à-vis de celle présentée dans ce texte qui présente la caractéristique d’avoir été élaborée dans un groupe de travail destiné à repenser la définition du soin infirmier du décret de compétence. Le CEFIEC (Comité d’Entente des Formations Infirmières et Cadres) en avait été le maître d’œuvre. A son invitation, avait été mis en place un groupe de travail regroupant infirmiers et cadres du Centre Hospitalier de Laragne. Dans le texte, je reprends ce travail commun en le mettant à ma main. Ce texte est resté lettre morte. Le CEFIEC ne nous a jamais renvoyé quoi que ce soit à son sujet. Nous nous sommes donc autorisés à l’utiliser comme définition laragnaise du soin. Le CEFIEC porte une lourde responsabilité vis-à-vis de la psychiatrie et des patients qui y sont hospitalisés. Non seulement il a saisi le Conseil d’Etat pour que le diplôme d’état ne soit pas concédé aux ISP mais il s’est employé à dépsychiatriser les contenus de formation initiale. Quand il a été obligé (après deux rappels à l’ordre) d’inclure des enseignants formés à la psychiatrie dans les IFSI, il a forgé le concept de polyvalence qui obligeait les enseignants issus de la psychiatrie à enseigner la cardio ou la réanimation. La psychiatrie a continué à être enseignée par des formateurs qui n’y avaient jamais travaillé, transmettant aux étudiants leurs peurs et leurs représentations négatives de ces patients. Les patients isolés et contenus lui disent merci. … Revenons au texte de Soins Psychiatrie.
Que se passe-t-il entre une personne en souffrance physique et psychique, et une personne qui prend professionnellement soin d’elle, et comment ce qui se passe entre eux retentit sur l’être de l’un et de l’autre ? C’est à cette question unique qu’il nous appartient de répondre, et c’est la réponse provisoire que nous lui apportons qu’il nous faut transmettre.
Si l’interrogation est simple, les moyens à mettre en place pour y parvenir ne le sont pas. C’est à partir de la moindre des choses, de « petits riens », que l’on peut construire une séquence qui nous permettra d’avancer. Que se passe-t-il autour de la toilette de M. Magnon ? Comment Mme Dertal réagit-elle au repas dit thérapeutique et pourquoi va-t-elle mieux après ? Pourquoi l’ambiance tendue dans l’unité s’apaise-t-elle après une réunion institutionnelle ? Pourquoi mon collègue Jean-Michel est-il en difficulté avec les patients qui abusent de toxiques ? Comment des observations précises, bien que minimales et émiettées, peuvent-elles finir par constituer un champ de savoir ? C’est le rôle de la théorisation. Rédigeons des théories de la toilette, des perfusions, des bassins, des groupes thérapeutiques, des entretiens. [3],[4],[5],[6]. Nous avons à transmettre une qualité de regard et d’écoute, et la façon de les penser, d’en faire le récit.
S’autoriser à transmettre
On ne transmet que ce qui nous paraît précieux. Que nous considérions la toilette intime comme un acte dégradant pour le soignant, le message d’un vieil homme fatigué comme un acte répugnant, l’animation d’un groupe comme du farniente et nous nous interdirons toute pensée de ces soins.
Nous soulevons des mondes
Lorsque j’accompagne M. Aramis à sa toilette, je cherche à établir un dialogue entre mes mains et son corps fatigué. Je peux chantonner, parler avec lui de choses apparemment insignifiantes, mettre une musique qu’il aime, mais l’essentiel est cet échange entre mes mains et son corps. Que la pulpe de mes doigts sente les nœuds autour de sa colonne vertébrale, qu’elle les dénoue petit à petit, que le passage du gant ou de mes mains simplement savonnées détende son psychisme éprouvé. Qu’il puisse ensuite retourner chez lui deux jours et le soin aura produit son effet. Lorsque je fais un repas thérapeutique avec Melle Perrette, que je la vois chipoter la nourriture, hésiter, comme si ce qui entrait en elle d’aliments risquait de l’empoisonner, lorsque par ma présence attentive et répétée, elle finit par prendre le morceau de pizza à sa bouche, lorsque d’un jour sur l’autre je la vois s’ouvrir, devenir gourmande et me raconter les repas que lui préparait sa mère, notamment la soupe d’orties, je suis soignant, je sais que c’est autant moi, la relation qui s’établit entre nous, que la nourriture préparée par le cuisinier qu’elle mange ou recrache. Et j’entends autrement ses brûlures d’estomac.
C’est autour de ces échanges-là qu’il nous faut écrire. Non, ils ne sont pas insignifiants quoi qu’en disent les grenouilles de ministère. Ce sont les leviers à partir desquels nous soulevons un monde intérieur, un psychisme blessé. C’est aussi parce que nous touchons avec nos mains le patient qu’il se laisse à son tour toucher psychiquement par nous.
L’héritage
S’il faut apprécier le soin et notre pensée du soin comme un bien précieux, il nous faut également nous considérer comme des personnes et des professionnels dignes de transmettre. Ce n’est pas parce que des anonymes du ministère de la santé ont supprimé notre profession que nous sommes des moins que rien, des sous-infirmiers, des juste bons à faire du gardiennage. Les « Je ne suis qu’infirmière », ça suffit. Nous sommes des soignants. Si nous estimons être des rebuts, des « infirmiers à la manque », non seulement nous donnerons raison aux cafards du ministère mais nous ne nous investirons plus dans le soin, nous dévalerons tout ce que chaque patient peut nous offrir et nous interdirons toute transmission. Si nous nous vivons comme des soignants « de merde », nous ne pourrons penser nos héritiers (il y en aura forcément, même s’ils ne sont pas infirmiers) que comme des paumés, des « merdeux » égarés dans un système merdique. Chaque un de nous porte une part de ce savoir que nous tentons d’élaborer collectivement. Chaque un de nous peut être le dernier des ISP, l’ultime réceptacle d’un savoir élaboré par des générations ainsi que l’écrit Franck Fabien. C’est notre fierté de le faire. La suppression de notre diplôme ne dit rien de notre valeur, de notre utilité sociale, elle dit surtout l’incompétence de ceux qui l’ont supprimé, leur totale absence de vision à moyen et long terme. Nous avons fait le choix de poursuivre pour montrer le chemin, de le tailler à la machette s’il le faut.
Il nous faut des modèles
La transmission doit aussi s’incarner. Il nous faut des modèles auxquels nous identifier. Formés par des médecins, nous n’avons pu nous identifier à des soignants qui théorisent, réfléchissent autour de leur pratique. Ainsi que l’écrit Frédéric Masseix, infirmier devenu sociologue puis psychanalyste, la transmission sur le terrain est soumise à un certain nombre d’aléas. Combien d’entre nous se souviennent d’un infirmier qui les a marqués ? Il est vrai que les petites rivalités, la lutte de tous contre tous prend souvent le pas sur la collégialité. Ceux qui se détachent du groupe sont souvent enviés, maudits, jalousés.
Combien d’entre nous ont pu lire des écrits infirmiers au cours de leur formation ? A part André Roumieux[7],[8],[9] quels infirmiers ont écrit ? « Soins Psychiatrie n’est pas corporatiste. Nous avons cependant fait le choix de mener une politique d’auteurs, de signatures. C’est pour cette raison que certains noms (dont le mien) reviennent souvent dans nos colonnes. Nous ne cherchons pas aux Etats-Unis nos références. Nous privilégions les infirmiers de terrain, ceux que vous pouvez rencontrer en allant à Toulouse, à Ville-Evrard, à Laragne, à Montfavet, à Esquirol, à Saint-Cyr-au-Mont-d’Or, à La queue-en-Brie, à Nancy. Et si aujourd’hui peu écrivent, notre pari est que demain, il sera difficile de faire des choix. Cette profession massacrée est en marche et rien ne l’arrêtera sinon elle-même. »
Pétrir ce qui nous a été transmis
Nous avons reçu de nos ancêtres des savoirs plus ou moins formalisés ; il nous appartient de pétrir ce qui nous a été transmis, de le transformer et d’apporter notre marque à cette élaboration pour que d’autres s’en emparent à leur tour et aillent plus loin. Pour cette raison, nous insistons pour que les références soient citées, que l’on ne se contente pas de chercher des références médicales ou sociologiques mal comprises. Citer un écrit infirmier n’est pas honteux. La pertinence de la pensée devrait être notre seul critère.
C’est à cette condition que nous ferons des soins vivants, étayés sur une pensée vivante. Il est dramatique à cet égard que tant d’enseignants d’IFSI et d’Ecole des Cadres de santé ne lisent pas et ne se fassent pas les propagateurs de l’énorme travail d’élaboration engrangé par les infirmiers (par tous les infirmiers) depuis dix ans. Combien connaissent les écrits de Jean-Louis Gérard, Marie Rajablat, Michel Vibert, Jean Argenty, Jean-Paul Lanquetin, Jacky Merkling ou Blandine Ponet ? Combien les font lire et commenter à leurs étudiants ? Dans de nombreux IFSI ce qui s’enseigne aujourd’hui a déjà dix ans de retard. On ânonne une approche des diagnostics infirmiers et de la démarche de soin inappliquée et déjà dépassée. Cliniquement c’est du vent mais ça peut se coter. Et ce sont des psychiatres qui enseignent comment mener des entretiens infirmiers.
Ecrire, lire encore et toujours
A Toulouse, une infirmière s’interroge. Chaque fois qu’elle va voir M. Marchant à son domicile, il lui parle du temps où il était isolé : « J’entends encore le bruit des talons de la surveillante. Je savais que la porte allait s’ouvrir, qu’elle allait venir me saluer comme chaque matin. Je guettais ce moment. C’était comme de la vie qui entrait dans ma prison. La porte refermée, il ne restait que la trace impalpable de son parfum à la cannelle, c’est cette trace qui me permettait de tenir. »
Pourquoi écrivons-nous ?
Il s’agit pour nous d’éclairer cette infirmière, qu’elle sache que d’autres soignants ont été confrontés aux mêmes questions, qu’ils y ont apporté des réponses plus ou moins satisfaisantes, qu’il est possible de penser ce qui se joue dans la relation à partir d’écrits et de réflexions, entre autres, infirmiers.
Dans l’histoire des soins, il n’a jamais été aussi facile de publier qu’en ce début d’année 2000. Les revues sont nombreuses, connues. Elles s’intéressent aux aspects les plus triviaux des soins pour peu qu’ils soient étayés. De nombreuses collections accueillent les écrits infirmiers. Des sites comme celui de serpsy permettent aux novices de faire leurs premières armes. Ces supports ne manquent que de lecteurs. Lisez, faites lire vos collègues. Transmettre, c’est cela aussi. Faute de lecteurs, ces revues, ces collections disparaitront et avec elles, disparaitront la lecture et l’écriture infirmière.
Si vous ne voulez pas être colonisés par les théories anglo-saxonnes ou par l’idéologie médicale, lisez et conjurez ainsi la disparition de l’écriture. J’avais hélas raison, de nombreuses collections dédiées aux soignants ont fini par disparaître faute de lecteurs. Les infirmiers ont renoncé à leur littérature, à comprendre la complexité du soin. Les isolements et contention se sont multipliés. Faute de culture partagée du soin.
On ne pense pas dans le vide, on pense à partir de ce que d’autres ont écrit. On est toujours l’héritier de quelqu’un d’autre. Et si vous écrivez, sachez que vous n’inventerez rien, vous contribuerez au développement du soin, c’est peu, mais c’est énorme.
Dominique Friard, alors rédacteur-en-chef adjoint de la revue Soins Psychiatrie.
La caricature est de Joël Chauvin, ISP au C.H. de Laragne (05)
[1] FRIARD (D), Transmettre le soin en psychiatrie, in Soins Psychiatrie, n° 207, mars/avril 2000, pp.4-7.
[2] FRIARD (D), L’objet « introuvable » de la science dite infirmière, in Perspectives soignantes, n° 67, Avril 2020, pp. 7-38.
[3] RAJABLAT (M), La toilette : Voyage au cœur du soin, Masson, Paris, 2004.
[4] LEYRELOUP (A-M), DIGONNET (E), Pratique de l’entretien infirmier, Masson, Paris, 2000.
[5] FRIARD (D), L’isolement en psychiatrie : séquestration ou soin ?, Masson, Paris, 2002.
[6] FRIARD (D), Une approche thérapeutique de la psychose : le groupe de lecture, Editions Hospitalières, Paris, 1997
[7] ROUMIEUX (A), Je travaille à l’asile d’aliénés, éditions : Champ libre, janvier 1974.
[8] ROUMIEUX (A), La Tisane et la camisole, trente ans de psychiatrie publique, éditions : Jean-Claude Lattès, 1981.
[9] ROUMIEUX (A), Ville-Évrard. Murs, destins et histoire d’un hôpital psychiatrique, éditions : L'Harmattan, juin 2008.
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